Allemagne : le cordon sanitaire contre l’extrême droite saute en Thuringe

vendredi 7 février 2020
par  SUD Éduc

Par Nelly Didelot — 5 février 2020 à 19:38
Manifestation aux abords du siège du Parti libéral-démocrate à Berlin pour protester après l’élection de son candidat en Thuringe avec les voix de l’extrême droite, mercredi. Photo Annegret Hilse. Reuters
Les élus de la CDU ont voté avec ceux de l’AfD pour faire élire un président de région libéral, et mettre en échec le sortant, représentant la gauche radicale. Une décision qui provoque déjà des dissensions dans le parti de la chancelière.

Un tabou politique qui régissait la vie publique allemande depuis l’après-guerre est tombé mercredi. Pour la première fois, un président de Land a été élu grâce aux voix de l’extrême droite. Thomas Kemmerich, du parti libéral démocrate, devrait désormais diriger la Thuringe après avoir été désigné par une voix d’avance sur Bodo Ramelow, le représentant de la gauche radicale Die Linke. Son parti n’avait remporté que cinq sièges au Landtag (le parlement régional) lors des élections régionales d’octobre mais il a pu compter mercredi sur le soutien de la plupart des élus chrétiens-démocrates (CDU) et de tous les représentants de la formation d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD).

Cette région du centre du pays, qui faisait partie de la RDA jusqu’à la réunification, était jusque-là le seul Land présidé par Die Linke, grâce à une coalition avec les sociaux-démocrates et les Verts. Le parti de gauche était à nouveau sorti en tête des élections régionales en octobre, mais sans avoir les moyens de maintenir cette alliance, notamment en raison du recul du SPD dans les urnes. Après des mois de tractations, le président sortant Bodo Ramelow avait fini par mettre sa candidature au vote ce mercredi, espérant se faire élire à la tête d’une coalition minoritaire.

« Fasciste »

A la place, il a assisté à la rupture de la digue contre l’extrême droite, dans une région où elle est particulièrement radicale. En Thuringe, l’AfD est dirigée par un représentant de la frange la plus identitaire du parti, nommé Björn Höcke. Un homme qui, en 2017, avait qualifié en 2017 de « honte » le Mémorial de Berlin aux Juifs d’Europe assassinés, et qui peut être légalement désigné comme « fasciste » d’après une décision de justice de septembre 2019.

Son aura sulfureuse n’avait toutefois pas empêché son parti de récolter 24 % des voix lors des dernières élections dans une région encore minée par les handicaps économiques hérités de la période communiste.

L’importance nouvelle de l’AfD dans le jeu politique thuringeois devrait avoir des conséquences bien au-delà des frontières du Land. Le vote de ce mercredi a déjà provoqué de sérieux remous à la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel. Alors qu’Alexander Mitsch, représentant de la ligne dure du parti, saluait un vote prouvant que la CDU « pouvait être victorieuse sans le SPD, ni les Verts », le secrétaire général des chrétiens-démocrates évoquait lui « une journée noire pour la Thuringe », où « des élus CDU ont assumé le fait qu’une élection puisse se faire avec des nazis ».

Le parti de la chancelière exclut officiellement toute alliance avec l’extrême droite, mais un nombre croissant d’élus sont tentés par cette aventure, surtout au niveau régional où les coalitions sont de plus en plus dures à constituer.

L’élection de Thomas Kemmerich à la tête de la Thuringe ne signifie toutefois pas pour autant que l’AfD ferait nécessairement partie d’une éventuelle coalition. Celle-ci sera extrêmement compliquée à trouver alors que les grands partis sont sortis affaiblis des élections. Dès ce mercredi soir, la CDU appelait par la voix de son secrétaire général à l’organisation d’un nouveau scrutin.