Autoévaluation des EPLE : mise en concurrence des établissements

vendredi 9 octobre 2020
par  SUD Éduc

Cet article a été publié le 08/10/2020

Le conseil d’évaluation de l’école institué par la loi dite « pour une École de la confiance » a publié dans une délibération du 8 juillet 2020 le cadre de l’évaluation des EPLE. Cette évaluation comportera deux phases : une autoévaluation de l’établissement suivie d’une évaluation externe par une équipe désignée par le recteur ou la rectrice. Cette évaluation concernera 20 % des établissements chaque année et donc chaque établissement sera évalué tous les 5 ans.

Cette évaluation prétend « améliorer, dans l’établissement, le service public d’enseignement notamment, les conditions de réussite collective, d’exercice des différents métiers et de bien être dans l’établissement. »

L’autoévaluation

La première phase consiste en une autoévaluation qui s’intéressera à « l’établissement dans sa globalité », choix pédagogique, évaluation des résultats, rapport de l’établissement avec les partenaires extérieurs, orientation, inclusion scolaire, communication de l’établissement, etc. Elle est censée être « totalement participative » et couvrira quatre grands domaines :

« les apprentissages et les parcours des élèves, l’enseignement ;
la vie et le bien-être de l’élève et le climat scolaire ;
les acteurs, la stratégie et le fonctionnement de l’établissement ;

l’établissement dans son environnement institutionnel et partenarial. »

Un comité de pilotage sera mis en place comprenant l’équipe de direction, des personnels de l’éducation nationale, des personnels des collectivités territoriales de l’établissement, des parents , des élèves et des « partenaires ». Il n’y a aucune indication cadrant la composition et le mode de désignation de ce comité.

Un guide d’autoévalution est fourni. Il aborde les quatre grands domaines de l’autoévaluation.
→ Analyse :

Cette autoévaluation censée être une aide pour l’établissement a en fait pour objectif de vérifier la conformité des pratiques et des buts de l’établissement avec les orientations académiques et nationales. L’établissement devra en effet comparer ses résultats à des données de référence fournies par le rectorat (p 5, paragraphe 2.1). Il devra expliquer pourquoi ses résultats ne coïncident pas avec ceux d’établissements similaires.

Dans le texte aucun moyen n’est alloué à cette tâche qui incombera à l’équipe de direction en plus de ses attributions habituelles et au comité de pilotage. La mise en place de ce comité participe pleinement de la stratégie de gratification individuelle (IMP, primes, éventuelle accélération de carrière, …).

Cette autoévaluation s’apparente à une usine à gaz à tel point que même le SNPDEN (syndicat des personnels de direction) y voit une tâche « démesurée pour mettre en œuvre un questionnement métaphysique bien éloigné du réel » (lettre interne du 18 septembre 2020).

L’évaluation externe

Elle intervient dans un second temps et elle est vue comme un « prolongement de l’autoévaluation ». Il s’agit bien d’une évaluation de l’établissement afin de lui proposer des actions pour « enrichir sa stratégie éducative (formations, modalités d’enseignement, accueil des élèves, projets ou partenariats, …) » (p 9, 3.1).

Cette évaluation aura lieu sur 2 ou 3 jours et sera pilotée par trois ou quatre évaluateur-ice-s désigné-e-s par le recteur ou la rectrice. L’équipe d’évaluateur-ice-s pourra comprendre des inspecteur-ice-s, « des personnels de direction, des enseignants, des cadres académiques ou d’autres personnels ayant une bonne connaissance du fonctionnement pédagogique ou administratif d’un établissement », et enfin il est envisagé d’intégrer « des professionnels extérieurs à l’Éducation nationale, notamment au sein d’exécutifs départementaux ou régionaux ». Sa composition devra toutefois comprendre « au moins deux inspecteurs ou chargés de mission d’inspection et un personnel de direction ou cadre administratif » (voir Annexe 2.1).

Le rapport final d’une dizaine de pages sera communiqué au-à la chef-f-e d’établissement et au CA après avoir été relu et validé au niveau académique. « Le rapport définitif a pour vocation de s’intégrer dans le cycle de contractualisation de l’établissement. »
→ Analyse

Le classement des EPLE à un niveau régional et national est formellement exclu, mais le fuitage de résultats est très possible via la transmission aux membres du CA.

L’équipe prétendument neutre sera composée aux trois quarts, voire exclusivement, de fonctionnaires d’autorité.

Le rapport final rentre dans la politique de contractualisation des EPLE en attribuant les moyens suivant les objectifs fixés à l’établissement.

Globalement ce processus d’évaluation évacue les problématiques sociales et de manque de moyens de l’éducation nationale pour axer les préoccupations sur « l’optimisation » locale des moyens et les modalités d’enseignement.

Le rapport, loin d’être une aide, s’imposera à la communauté éducative : le texte sera présenté pour information sans vote au CA.

Les finalités

Selon le conseil d’évaluation de l’école, cette évaluation a pour finalité :

« l’amélioration, dans l’établissement, du service public d’enseignement scolaire »
« d’améliorer, pour l’ensemble de la communauté éducative et de ses acteurs, les conditions de réussite collective, d’exercice des différents métiers » (p2)
« l’adhésion de l’ensemble de la communauté éducative à la démarche d’évaluation de l’établissement. » (p9)

Pour cela il faudra (p2) :

« mesurer le niveau d’atteinte des résultats et relier ces résultats à l’utilisation des marges d’autonomie de l’établissement, aux pratiques professionnelles, aux organisations retenues, aux choix opérés par l’établissement,
situer la valeur ajoutée de l’établissement, compte tenu de son contexte,
proposer collectivement des axes stratégiques à mettre en œuvre pour une amélioration ou une consolidation de la réussite des élèves et de leur qualité de vie à l’École »

→ Analyse

Cette évaluation des établissements est directement inspirée par les techniques managériales du secteur privé. Elles ont pour objectif de susciter l’adhésion et le sentiment d’appartenance, de développer une véritable culture d’établissement, comme dans le privé, on promeut la culture de l’entreprise. Cela permettra d’achever la mutation du service public d’éducation vers un fonctionnement plus proche de celui des entreprises privées.

Les « conditions de travail » disparaissent au profit de la « qualité de vie au travail », ce qui évacue les questions de pénibilité et de souffrance au travail, les rendant ainsi invisibles. Dans la poursuite de ce qu’a entamé le PPCR, les personnels sont poussés à toujours s’investir d’avantage, au-delà de leur service, en visant des objectifs inatteignables. Cela ne peut que générer une perte de sens de nos métiers.

Les partenariats avec les entreprises sont encouragés et sont intégrés au processus d’évaluation de l’éducation nationale. C’est un outil de plus pour que l’école soit au service des intérêts économiques.

Ce processus d’évaluation s’inscrit dans le renversement des stratégies de formation : les besoins en formation sont déterminés par les besoins de l’institution et non ceux des personnels.

Le remplacement du Cnesco par le Conseil d’évaluation de l’école signifie un changement de paradigme : le passage d’une autorité scientifique indépendante chargée de produire des analyses sur les systèmes scolaires à une institution de contrôle et d’évaluation.