Chronique de la misère en temps de confinement. L’école sans l’école

lundi 13 avril 2020
par  SUD Éduc

L’école sans l’école coûte que coûte malgré la faim. La continuité pédagogique renvoie la responsabilité de l’échec scolaire à venir sur les enfants, et leurs parents. Il faudrait au moins qu’il y eût continuité de l’État sur l’ensemble du territoire pour que ce dispositif ait la moindre chance. À Mayotte, un écolier de 10 ans, un lycéen, une étudiante en Lettres racontent leur confinement.

Un jeune garçon de 10 ans a bien voulu parler de son confinement et de la difficulté de réaliser le travail scolaire demandé. Il vit à Majicavo Koropa dans un logement en tôle, dans un quartier où sont entassées des habitations du même type. Il est en classe de CM2. Sa mère se rend régulièrement à l’école pour récupérer le travail de son fils. Elle fait son travail de parent tel qu’il est demandé par les maîtres. Elle veille à ce qu’il fasse ses devoirs et le rappelle régulièrement à l’ordre. Mais sa responsabilité sur la réalisation des devoirs par son fils s’arrête là. Comme la plupart des parents de Mayotte, quelle que soit leur situation sociale, elle n’a pas elle-même été scolarisée dans son enfance. Le souci urgent qui la taraude concerne la marmite. Quand au jeune écolier, il est encombré par tout ce temps qui l’envahit et l’invite à l’ennui dans lequel il dit se complaire, sans doute forcé.

« Moi, j’ai 10 ans. Je ne vais plus à l’école depuis fin février, Le confinement, c’est ennuyeux, il faut toujours rester là dans le salon. Je regarde la télé, parfois je la laisse et je prends le téléphone de ma mère et je joue. J’ai des exercices à faire, ma mère va chercher le travail à l’école. Je travaille parfois. Mais je n’ai pas tout fait. Parce que dès fois j’aime bien m’ennuyer. Sinon je reste avec mon chat qui dort tout le temps, c’est ça, son travail, il n’attrape même pas de souris.
 La nuit dans le quartier, c’est très bruyant, on entend des enfants qui pleurent, on entend des films à la télé de chez les voisins. Il y a des voisins qui adoptent des animaux et ensuite qui crient tout le temps la nuit, des chèvres qui hurlent.
Il y a un jour, on n’avait plus de lumière, pendant deux jours. J’avais entendu tout le temps des souris. Je me suis même réveillé trois fois pendant la nuit. trois fois et je me suis réveillé à quatre heures. »

« Le confinement en plus de ça, c’est vraiment ennuyeux parce qu’on n’a pas le droit de sortir dehors, on n’a pas le droit de voir les autres, on n’a pas le droit de voir ses copains. »

« Travailler tout seul c’est difficile, ma sœur elle m’aide. J’ai aussi deux frères, ils sont en métropole. Ils s’éclatent. Ils ne peuvent pas s’ennuyer là-bas, ils ont une tonne de jeux, j’en suis sûr, ils sont en train de jouer. »

« Vivement l’école. »

* * *

Sa grande sœur, âgée de 20 ans, est en première année de licence de Lettres Modernes au Centre Universitaire de Formation et de Recherche de Mayotte. Comme la plupart des jeunes gens d’origine étrangère vivant à Mayotte, elle a été contrainte à une année blanche après l’obtention de son bac faute d’avoir pu obtenir un titre de séjour dans les temps. Titulaire d’un Document de circulation d’étranger mineur depuis l’âge de 14 ans, elle n’a à ce jour obtenu qu’un récépissé de demande de titre de séjour, titre qu’elle avait pourtant demandé avant sa majorité. Elle aura bientôt 21 ans ! Tous ces contretemps perturbent ses études supérieures. Chaque année apporte un problème supplémentaire : fermeture des guichets de la préfecture en 2018, année blanche en 2019, confinement en 2020.

« Au début du confinement, on est resté à la maison, il y a des profs qui nous ont envoyé des cours pour qu’on voit et qu’on revoit, ils nous ont envoyé des exercices à faire par messagerie ou parfois par Moodle (la plateforme pédagogique du CUFR), mais le problème avec Moodle, souvent, on arrive pas à y accéder. Ces derniers jours, j’ai pensé que les cours étaient terminés parce que les profs ils n’envoient plus de cours, le prof d’anglais, le prof de latin et les profs des autres cours. »

« La dernière fois il y a le prof d’anglais qui nous a envoyé un mail disant qu’on allait faire un contrôle et que le contrôle durait deux heures. Mais des étudiants n’ont pas reçu le mail, par exemple. Moi je l’ai reçu à 15 heures alors qu’on devait rendre le travail à 16 heures. Du coup, je l’ai fait, mais au moment où j’allais l’envoyer au prof, j’ai tout supprimé par accident. Je devais tout refaire. Je l’ai refait et hier on m’apprend que le contrôle ne compte pas. C’est dur tout ça. C’est très dur et je me suis donnée à fond pendant des heures et on me dit que ça compte pas.
« Pour travailler, je prends un cahier et j’écris et je relis. Et je prends mon téléphone. J’ai internet sur mon téléphone qui marche pas souvent, car il y a pas beaucoup de réseau. Je tape mes devoirs sur mon clavier de téléphone. Avec le confinement, les choses sont plus dures parce qu’on est fatigué, des fois on essaie de réviser, et on est fatigué. J’ai appelé quelques camarades et ils me disent la même chose, qu’ils essaient de s’y mettre, mais qu’ils sont fatigués. Dans le confinement on est fatigué. »

« En plus chez moi, c’est difficile de s’isoler, parce que n’importe où où je m’assoie, il y a toujours des gens qui parlent, il y a des enfants qui pleurent, il y a des mamans qui crient, il y a les télés qui marchent, les enfants qui jouent dehors. C’est très difficile. Je me pose beaucoup de questions par rapport à mes études à cause de la validation de l’année. Un prof m’a dit que les contrôles, on va les faire à la rentrée, mais on ne sait pas quand on va rentrer. Je me dis qu’il faut que je révise mais ce n’est pas très facile. On ne reçoit plus de cours, c’est à nous de nous débrouiller. Il faut qu’on aille sur une application du CUFR (Hyperplanning, Emplois du temps) qui nous donne notre emploi du temps de la semaine. Comme on ne va pas à l’université, on voyait au moins ce qu’il y avait à faire. Par exemple aujourd’hui on est jeudi, à 7 heures normalement je sais quel cours on devrait avoir et on va chercher sur Moodle le cours qui aurait dû avoir lieu. C’est là qu’on le trouve. Par exemple il y a une professeur qui fait plusieurs matières, depuis le confinement elle nous a envoyé deux semaines de cours. Mais le tout en même temps. »

« Normalement l’année universitaire devrait se terminer en mai, mais il y a tous les contrôles continus. Et je suis inquiète. »

* * *

Le dernier témoignage a été rédigé par un élève de classe de terminale. Il habite en brousse, dans l’extrême sud de l’île. Le jeune homme construit son récit à partir d’une situation personnelle qui s’est récemment améliorée mais ne peut s’empêcher de décrire les conséquences du confinement à partir d’une situation antérieure dont beaucoup de ses camarades continuent à souffrir. Et c’est à partir de ce souvenir, et de l’expérience des autres qu’il plaint, qu’il parle du confinement.

« Je suis un élève du Lycée polyvalent de Kahani, j’habite à Kani-Kéli, quartier Kavani. Aujourd’hui on se retrouve dans une situation très difficile, à cause du confinement. On est obligé de rester enfermé chez nous sans allez à l’école. Parmi nous, les élèves , certains n’ont pas les moyens de travailler à la maison. Parfois l’élève n’a pas d’ordinateur ou de Livebox. Ces deux choses, si tu les a pas, le travail sera tellement difficile ! Moi aussi je suis passé par là mais il n’y avait pas le confinement. Maintenant , aujourd’hui , il y a le confinement c’est encore plus difficile qu’avant »

« Il y a des gens qui disent que les profs vont passer à la maison pour déposer le travail à faire , moi je dirais que c’est faux. Si on regarde bien, on peut pas sortir à part si tu as le certificat qui montre où tu vas. Les profs vont pas faire ça. Par exemple, un prof qui a quatre classes, il va pas passer sa vie à sortir pour aller à Mamoudzou ou Chirongui juste pour un/une seule élève, pour lui déposer les exercices à faire , ils vont déposer les documents sur Pronote ou sur Neo. Celui qui n’a pas la livebox chez lui, où qui a la livebox mais qui n’a pas l’ordinateur pour se connecter , oui c’est vrai sur téléphone on peut se connecter mais le travail sera difficile à faire, sur l’ordinateur c’est simple à faire , moi j’ai de la peine pour ceux qui n’ont pas les moyens pour travailler à la maison . J’ai oublié le jour que le Président a dit que dès demain on a pas le droit de sortir , moi depuis ce jour-là, je ne suis plus sorti jusqu’aujourd’hui que je parle. Mon quartier est tellement silencieux. »

« La chance que j’ai, on a un jardin où je peux prendre l’air. Mais les autres qui n’ont pas de jardin, c’est tellement dur. Je me réveille, je prends mon petit déj et je passe ma journée sur mon ordinateur. Je me connecte sur Neo ou Pronote pour voir les exercices que les profs ont ajoutés, je les fais et je les envoie en les déposant sur Pronote. Pour le moment il y a qu’un seul prof qui a corrigé ma copie (un devoir de math où j’ai eu 14. J’avais pas du tout imaginé que j’aurais cette note. Et je vais continuer de faire des efforts). »

« Mais je suis en train de passer des appels aux camarades de classe pour récupérer leurs mails parce que mon prof, il veut créer un groupe pour nous envoyer les documents. »

« Pour les autres je sais pas quoi dire, à part qu’il ne faut rien négliger. Il faut apprendre les cours, faire des résumés. J’espère que le confinement va bientôt se terminer et qu’on reprendra la vie comme avant. Inchallah ! Oui, c’est difficile. »

« J’ai l’impression que le confinement est venu exprès pour nous les élèves (une épreuve pour voir ceux qui travaillent à la maison, parmi les élèves qui ont les moyens de travailler, et moi j’en fait partie). J’espère que je ne vais pas négliger. »
(Source Mediapart)