DEMAIN, CELA PEUT ÊTRE VOUS ! Lorsque la répression policière et judicière deviennent la norme.
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« Suicidez-vous ! » : Rencontre avec un juge des libertés, de la détention et des bonnes opinions
Deux étudiantes placées sous contrôle judiciaire pour avoir refusé de dénoncer les outrages à agents
paru dans lundimatin#192, le 21 mai 2019
Le 1er mai Shérazade et Neïla buvaient un verre place de la Contrescarpe. Alors que la police interpelle brutalement un homme devant leurs yeux, elles se retrouvent elles aussi embarquées. Le motif, elles le découvriront en garde à vue : les forces de l’ordre accusent les deux étudiantes de les avoir outragé en les tançant d’un « suicidez-vous ». C’est ainsi que les deux amies vont découvrir l’incroyable univers de la justice.
Il aura fallu de longs mois pour que les médias s’autorisent à couvrir correctement les faits de brutalités policières qui se diffusaient pourtant massivement sur les réseaux sociaux. Reconnaissons-le, le personnel politique et les éditorialistes n’y allaient pas de main morte avec leurs dénégations. On le répétait sans relâche à ceux qui voulaient l’entendre : « il n’y a pas de violence policière, nous sommes dans un état de droit. La répression ça n’existe pas. »
Quelles que soient les raisons qui ont pu pousser tant de médias à ne pas voir et ne pas raconter des exactions policières aussi massives et avérées, force est de constater que cette problématique fait désormais partie du débat public.
Il est cependant important de signaler que le champ de la répression ne se limite absolument pas aux seuls coups de matraques, insultes, jets de grenades explosives et tirs de LBD 40, c’est-à-dire aux seuls méfaits de la police. Pour que la répression soit efficace et fasse son office, on ne doit pas seulement blesser les corps pour apeurer les esprits, il faut aussi enregistrer tout cela judiciairement, juger, punir, enfermer ; c’est le rôle de la justice. Contrairement au travail de la police, cet autre pan du pouvoir répressif est beaucoup plus difficile à documenter et donc à diffuser publiquement : pas d’images, pas de sons, peu de scandales. Et c’est là une grande perte pour l’intelligence publique, chaque citoyen gagnerait à mieux connaître ce qu’il se passe derrière les portes des tribunaux et le rôle que jouent ou s’arrogent juges et procureurs. L’histoire que nous racontons dans cet article se noue dans un petit bureau du très grand tribunal de Paris. Elle est à la fois anecdotique et révélatrice, elle résonnera en tous cas avec l’expérience vécue par ces milliers de Gilets Jaunes qui ont eu ces derniers mois affaire à la moulinette judiciaire.