Démocratie de faible intensité
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Démocratie de faible intensité
Face à toutes les contestations, le verdict de la présidentielle de 2017 est de peu de poids. Le problème, il est vrai, dépasse Emmanuel Macron. C’est celui de la Ve République. Le suffrage universel ne peut pas être une arnaque suivie d’une sorte de bras d’honneur.
De temps en temps, l’homme perd ses nerfs. Le voilà l’autre jour qui s’empourpre devant des journalistes du Figaro et de Radio J, exhortant ceux qui dénoncent la violence du pouvoir à « essayer la dictature ». Avec qui croise-t-il le fer ? Personne. Mélenchon a dénoncé un « comportement monarchique ». Ségolène Royal a parlé de « dérive autoritaire ». Et Olivier Besancenot lui a conseillé, très ironiquement, de « tester la démocratie ». Voilà tout. On a connu polémique plus sévère. Quant à la violence du pouvoir, elle est peu contestable. Physique d’abord, comme en témoignent les nombreuses victimes de la répression. Sociale et politique ensuite, en raison d’un acharnement à imposer, envers et contre tous, une réforme jugée confuse et injuste. Mais s’il faut absolument concéder à Emmanuel Macron que la France, même sous son ministère, n’est pas une dictature, on le fera bien volontiers. Prétendre le contraire serait d’ailleurs insulter les peuples qui paient de leur sang le prix de la liberté. En Syrie et en Égypte, par exemple. Mais le débat existe néanmoins. Non entre dictature et démocratie, mais à l’intérieur de ce dernier concept aux multiples acceptions. Le politologue canadien Francis Dupuis-Déri a recensé chez Tocqueville, auteur de référence de la bourgeoisie libérale, pas moins de onze définitions différentes de la démocratie (1). De la plus exigeante à la plus négligente. Il y a donc de quoi faire. Emmanuel Macron, lui, est visiblement un smicard de la démocratie. Il en a une conception minimaliste. Du haut de son élection, dont il s’est empressé d’oublier les circonstances très particulières, il nargue aujourd’hui une opinion au bord de la crise de nerfs.
La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, croyant voler au secours de son président – c’est son métier –, s’indigne pour sa part que l’on puisse accréditer l’idée « qu’il y aurait un régime qui imposerait sa loi au reste de la population ». Elle devrait garder son indignation pour un meilleur usage. Car, si l’on veut bien supprimer le mot « régime », un peu roublard, pour le remplacer par « gouvernement », c’est exactement ce qui se produit. La réforme des retraites essuie revers sur revers. Un mur de critiques et d’oppositions se dresse devant l’exécutif. Les sondages témoignent de la constante hostilité d’une majorité de Françaises et de Français. Voilà même que Laurent Berger vacille, traçant de nouvelles « lignes rouges » à mesure que son soutien au gouvernement devient intenable. Quant à la fameuse « étude d’impact », qui devait apporter la lumière, elle sème surtout le doute. Enfin, comme un coup de grâce, le Conseil d’État a rendu le 24 janvier un avis on ne peut plus sévère. La plus haute juridiction de la République dit ne pas pouvoir assurer « la sécurité juridique du projet », faute d’avoir eu le temps de l’examiner.
« Le temps », c’est désormais le maître mot de la bataille politique qui s’engage. Il est l’allié naturel de la démocratie. Il n’est visiblement pas l’ami du gouvernement. Plus c’est confus, et plus celui-ci se montre empressé. Il accorde généreusement quatre jours aux députés pour examiner un texte qui vient tout juste de leur être communiqué. Cela, alors que l’on découvre, presque fortuitement, de nouvelles contre-vérités. Ainsi, la part des retraites dans le PIB devait être constante. L’étude d’impact révèle qu’il n’en sera rien. La majoration des pensions à chaque naissance devait être favorable aux femmes, elle risque le plus souvent de profiter aux hommes. Et l’ombre du patronat continue de planer sur le scandale de la pénibilité. Cette pénibilité, refusée aux métiers les plus rudes, et insidieusement remplacée par l’invalidité, une fois le mal constaté. Quant à l’âge pivot, comme l’horizon, il recule à mesure que l’on avance. On devine aussi que la « règle d’or budgétaire » va sérieusement fragiliser les promesses d’augmentations faites aux enseignants. Et tout à l’avenant… Pas étonnant dès lors que la précipitation du gouvernement renforce le soupçon. Quelles vérités sont encore sous le boisseau ?
Le débat sur la démocratie existe donc bel et bien. Cette démocratie qui, telle que nous l’entendons, ne peut s’accommoder de la dissimulation. Face à toutes ces contestations, le verdict de la présidentielle de 2017 est de peu de poids. Le problème, il est vrai, dépasse Emmanuel Macron. C’est celui de la Ve République. Le suffrage universel ne peut pas être une arnaque suivie d’une sorte de bras d’honneur. C’est bien pourquoi, le moment venu, un projet d’une telle ampleur devait faire l’objet d’une vaste campagne d’information et d’une consultation spécifique. Il est encore temps ! Sinon, c’est la ruse qui l’aura emporté. Et Macron, qui n’est évidemment pas un dictateur, aura affaibli une démocratie à laquelle il ne garantit pas le plus bel avenir. Notre président est un démocrate dans le genre de Tocqueville, qui disait avoir un goût prononcé pour « les institutions démocratiques », tout en avouant être « aristocratique par instinct ». Avant d’ajouter crûment : « Je méprise et crains la foule. » Toute ressemblance…
(1) Démocratie, histoire politique d’un mot (éditions Lux, 2019).
P.-S. : Lire aussi sur le même sujet la chronique de Sébastien Fontenelle.