Effondrement en cours : on fait quoi ?
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Seuls de puissants mouvements collectifs pourraient réduire à néant le pouvoir des principaux responsables.
Depuis quelque temps, la « collapsologie », ou théorie de l’effondrement des civilisations dites « industrielles », fait beaucoup parler et polémiquer. Ces idées relaient et complètent, en les dramatisant, celles portées depuis longtemps par des « objecteurs de croissance ». La dramatisation est justifiée : les plus récents rapports scientifiques, tout comme les constats quasi quotidiens de l’état de la planète, sont beaucoup plus alarmants encore qu’ils ne l’étaient il y a dix ans. Du côté des militants du social et de l’écologie, l’accueil de ces idées va du rejet à l’adoption plus ou moins nuancée. La rencontre avec des thèses qui annoncent comme probable un effondrement d’ici, peut-être, une à deux décennies, provoque un choc que certains trouvent salutaire et d’autres démobilisateur, ou dépourvu de crédibilité.
Parmi les critiques de ces idées, on peut citer cette tribune collective publiée par Le Monde du 16 août dernier sous le titre : « Écologie, climat : l’effondrement n’est pas inéluctable ». En réalité, le diagnostic n’est guère moins alarmant, car les sources scientifiques sont les mêmes. Ce qui diffère est plutôt la tonalité de l’espoir (« rien n’est inéluctable ») opposée à ce que cette tribune nomme une « stratégie de communication catastrophiste » : la peur ou la « panique » seraient démobilisatrices.
Cela mérite réflexion. Les écrits des « collapsologues » jouent moins sur la panique que sur la raison et les stratégies de résilience. En cas d’urgence vitale, l’excès d’optimisme – caractéristique d’une certaine « psychologie positive » – peut lui aussi freiner l’action. Selon António Guterres, secrétaire général des Nations unies, pas vraiment un collapsologue, « si nous ne changeons pas de cap d’ici à 2020, nous risquons de dépasser le moment où nous pouvons encore éviter les changements climatiques incontrôlables, avec des conséquences désastreuses ».
S’il faut questionner ces idées, c’est plutôt sous l’angle des réponses à apporter à un effondrement émergent mais dont l’échéance et l’ampleur sont très incertaines. Pour les collapsologues, les issues consisteraient d’abord, outre une révolution mentale à susciter, à construire de petits systèmes locaux résilients. Des « innovations aux marges ». Nul doute qu’il en faudra mais, pour qu’elles ne soient pas réservées à une minorité privilégiée, des politiques publiques ambitieuses et radicales, du local au global, sont indispensables. Seuls de puissants mouvements collectifs de résistance et d’alternatives pourraient réduire à néant le pouvoir destructeur de la finance, des multinationales et de leurs relais politiques, principaux responsables de l’effondrement. Les collapsologues ont pris conscience de cette exigence (1), en évoquant notamment le besoin d’institutions coopératives, de politiques de « rationnement » égalitaire des usages de la nature, et de seuils de richesse. C’est l’une des voies de convergence entre « le rouge et le vert », dans l’hypothèse incertaine où il n’est pas déjà trop tard.
Jean Gadrey Professeur émérite à l’université Lille-I