En prison et affaibli, Julian Assange prépare tant bien que mal son procès en extradition

mercredi 29 janvier 2020
par  SUD Éduc

Les Etats-Unis ont formulé 18 chefs d’accusation contre le fondateur du site WikiLeaks. Affaibli, ne disposant que de peu de temps avec ses avocats, il se prépare à combattre, fin février, la tentative d’extradition américaine.

Par Martin Untersinger Publié hier à 17h52, mis à jour hier à 20h34

En avril 2019, l’image a fait le tour du monde : Julian Assange, la tête pensante du site WikiLeaks, est extirpé par la police de l’ambassade d’Equateur à Londres, où il était réfugié depuis plus de six ans. Emmené de force dans un véhicule de police, il prend la direction de la prison de Belmarsh, vaste complexe pénitentiaire non loin de la Tamise, à l’est de la capitale britannique.

Neuf mois plus tard, il y est encore emprisonné, dans l’attente de son procès en extradition, qui débutera le 24 février. Les Etats-Unis le réclament pour 18 chefs d’accusation. Accusé notamment d’espionnage pour avoir publié en 2010, avec plusieurs journaux dont Le Monde, des documents américains secrets, Julian Assange risque une peine de 175 ans de prison.
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Inquiétudes sur sa santé

Son équipe d’avocats vient de remporter une minuscule première victoire : l’Australien de 48 ans n’est plus à l’isolement. Un porte-parole de son organisation a déclaré, vendredi 24 janvier, qu’il avait été déplacé dans une « aile médicale » de la prison de Belmarsh, en partie sous la pression, toujours selon ce porte-parole, de ses codétenus.

Une satisfaction pour les avocats et les soutiens de Julian Assange, qui ont multiplié les alertes sur son état de santé. Le journaliste qui faisait trembler les gouvernements a le visage boursouflé par le stress et a perdu 15 kg depuis le début de son séjour en prison, selon son père, cité par Paris Match, qui lui a rendu visite récemment.

En novembre, se fondant notamment sur les conclusions du rapporteur de l’ONU sur la torture, soixante médecins avaient publié une lettre ouverte qui disait leur « grave préoccupation sur l’état de santé physique et mental » de l’intéressé. Adressée à Priti Patel, la ministre britannique de l’intérieur, et à Diane Abbott, son homologue au sein du cabinet fantôme, la missive entendait « attirer l’attention de l’opinion publique et du monde sur cette situation grave ». En l’absence de soins, écrivaient les signataires de la lettre, « nous redoutons vraiment, sur la base des éléments actuellement disponibles, que M. Assange puisse mourir en prison ».
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En octobre, lors d’une audience de procédure à Londres – sa première apparition publique depuis son arrestation –, l’Australien s’était en effet montré désorienté et affaibli. Avec une élocution difficile, selon des journalistes présents sur place, Julian Assange avait protesté contre le traitement dont il fait l’objet.

« Je ne peux pas réfléchir correctement. Je ne comprends pas comment ceci peut être équitable. Cette superpuissance [les Etats-Unis] a eu dix ans pour se préparer à cette affaire et je ne peux même pas accéder à mes documents », avait-il déclaré, selon la presse et WikiLeaks.

Julian Assange a ensuite reparu devant le tribunal londonien, le 13 janvier, pour une nouvelle audience technique. Là, il a simplement confirmé son identité et fait part de son incompréhension sur les détails de la procédure le visant, selon des agences de presse présentes sur place. L’activiste a pu compter, comme à chaque audience, sur une poignée de manifestants venus témoigner de leur soutien. Ce jour-là, la populaire chanteuse M.I.A. avait même fait le déplacement.
Difficultés de ses avocats

En décembre, Julian Assange s’est exprimé par vidéoconférence, en tant que témoin cette fois, devant un autre juge – espagnol, celui-ci. Ce dernier enquête sur une société espagnole mandatée par les autorités équatoriennes pour assurer la sécurité de leur ambassade à Londres, entre 2015 et 2018. WikiLeaks a porté plainte contre cette entreprise, UC Global, pour avoir posé, à partir de 2017, des caméras et des micros jusque dans les toilettes et sur l’extincteur d’une salle de réunion du bâtiment. Selon WikiLeaks, cette surveillance de Julian Assange aurait secrètement alimenté les services de renseignement américains.

Les avocats de l’Australien ne manqueront pas d’utiliser cette affaire, qui a pu compromettre la confidentialité de leurs échanges avec Julian Assange, pour combattre l’extradition de leur client. L’équipe de défense de M. Assange a tenté de repousser au maximum l’audience qui doit s’ouvrir à Londres le 24 février et dénoncé à plusieurs reprises les difficultés rencontrées pour s’entretenir avec leur client. « Nous ne pouvons simplement pas rentrer alors que nous devons voir M. Assange et recueillir ses instructions », a expliqué Edward Fitzgerald, l’un de ses avocats, jeudi 23 janvier.

Ce jour-là, une juge britannique accordait une petite victoire à l’Australien et à ses avocats en décidant de scinder en deux l’audience d’extradition à venir. Outre la semaine d’audience prévue à Londres fin février, la justice britannique en prévoit désormais trois supplémentaires, qui auront lieu en mai. La justice estime donc avoir besoin d’un mois entier de débat : preuve de la sensibilité et de la complexité de la question qu’elle va devoir trancher.
« Décourager les enquêtes »

Pendant ce temps-là, Julian Assange et WikiLeaks continuent de recevoir de nombreuses marques de soutien. Depuis que le ministère américain de la justice a annoncé poursuivre Julian Assange pour espionnage, juste après son arrestation à Londres en mai 2019, de nombreuses organisations de défense de la presse dénoncent en effet ces accusations, jugées contraires à la liberté de la presse.

Dans une tribune au Washington Post, lundi 27 janvier, le lanceur d’alerte Edward Snowden a ainsi comparé les accusations contre le journaliste Glenn Greenwald formulées par la justice brésilienne et les charges qui pèsent actuellement contre Julian Assange. Il s’agit, écrit-il, « de tentatives de décourager les enquêtes les plus incisives des journalistes les plus courageux et de créer un précédent qui pourrait geler les stylos des plus irascibles d’entre eux ».

La justice suédoise rejette la demande d’arrestation de Julian Assange pour viol

Cette demande aurait permis d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre du fondateur de WikiLeaks, déjà emprisonné au Royaume-Uni.

Au tribunal où se tient l’audience relative à la détention du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, à Uppsala, en Suède, le 3 juin 2019.
Au tribunal où se tient l’audience relative à la détention du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, à Uppsala, en Suède, le 3 juin 2019. TT NEWS AGENCY / REUTERS

Julian Assange et ses avocats ont remporté une première victoire tactique dans leur bataille judiciaire face aux autorités suédoises et américaines. Un tribunal suédois a rejeté, lundi 3 juin, la demande de la procureure Eva-Marie Persson, chargée d’enquêter sur une accusation de viol visant Julian Assange. Cette demande visait à le placer en détention « par défaut » (« arrestation en son absence »), alors que Julian Assange est actuellement détenu au Royaume-Uni.

« Les inculpations contre Julian Assange sont sans précédent, effrayantes, et un coup porté à la liberté de la presse »

Associations de défense des libertés et juristes sont scandalisés par les accusations d’espionnage de la justice américaine.

Par Martin Untersinger et William Audureau Publié le 24 mai 2019 à 11h59 - Mis à jour le 24 mai 2019 à 15h44

L’accusation d’espionnage portée à Assange est une menace plus globale contre la presse, s’inquiètent juristes et associations de défense des libertés.
L’accusation d’espionnage portée à Assange est une menace plus globale contre la presse, s’inquiètent juristes et associations de défense des libertés.

Sur une image, quatre cercles, représentant chacun un célèbre roman dystopique, et une critique des sociétés totalitaires : 1984, Fahrenheit 451, Le Meilleur des Mondes, La Servante écarlate. En leur centre, là où les cercles se recoupent, une mention : « Vous êtes ici ».

L’illustration, partagée par le lanceur d’alerte Edward Snowden dans la nuit de jeudi 23 à vendredi 24 mai, en dit long sur les inquiétudes des défenseurs des libertés après la nouvelle vague inédite d’accusations contre Julian Assange, détenu au Royaume-Uni depuis son arrestation le 11 avril et désormais poursuivi aux Etats-Unis pour infraction à l’Espionage Act.

La procédure, rare et juridiquement hasardeuse, pose directement la question de la liberté de la presse, pourtant protégée aux Etats-Unis par le premier amendement. Car ce qui est reproché au fondateur de WikiLeaks, à savoir recueillir et publier des documents secrets, est ce que font les médias. D’ailleurs, en 2010, le New York Times, le Guardian, Le Monde ou encore Der Spiegel avaient collaboré avec la plate-forme et publié les documents qui valent aujourd’hui à Julian Assange d’être accusé d’espionnage.
« Escalade inouïe des attaques contre le journalisme »

Après l’annonce de ces nouvelles charges, les associations de défense des libertés ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement entame une procédure criminelle contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques. C’est une attaque directe contre le premier amendement et une escalade inouïe des attaques de l’administration Trump contre le journalisme », s’est inquiétée l’Union américaine pour les libertés civiles (en anglais American Civil Liberties Union, ACLU), une puissante association de défense des droits des citoyens.