Français bloqués en Algérie : « On a passé presque trois mois dans un état de stress terrible »

dimanche 31 mai 2020
par  SUD Éduc

Avec la réouverture de l’espace aérien, plusieurs milliers de personnes peuvent désormais acheter un billet retour pour l’Hexagone.
RYAD KRAMDI / AFP

« Il y avait du monde à l’entrée et un peu de bousculade. Je devais prendre le vol du matin, et on m’a finalement mis sur celui de l’après-midi. Pendant un moment, j’ai cru que je ne partirais pas. Mais on oublie vite tout ça. L’essentiel, c’est de rentrer ! »

Devant l’entrée du terminal 4 de l’aéroport d’Alger, un agent fait l’appel. Devant les portes coulissantes, des centaines de personnes, soulagées, attendent. Elles font partie des milliers de Français ou résidents en France bloqués en Algérie depuis la fermeture de l’espace aérien à la mi-mars à cause de la pandémie de Covid-19, qui a provoqué 630 décès au 29 mai.
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Depuis le 27 mai, l’étau s’est desserré et ils peuvent à nouveau acheter un billet de retour pour 250 à 390 euros, les liaisons aériennes ayant repris à raison de quatre vols quotidiens, assurés par Air France et ASL Airlines.

« On a passé presque trois mois dans un état de stress terrible. Les rumeurs, la peur qu’il n’y ait plus de rapatriement, que la santé de mon mari s’aggrave, à l’affût du moindre coup de téléphone. » Safia, 63 ans, est épuisée par cette attente. « Je suis française, je vis en France depuis que j’ai 3 ans et, aujourd’hui, on se rend compte que la France nous a abandonnés. Apparemment, nous ne sommes français que sur les papiers », déplore cette retraitée qui vit à Roubaix et était en vacances à Nedroma, près de la frontière avec le Maroc.
Priorité aux « touristes »

Théoriquement, Air France dessert Oran une fois par semaine. Mais il faut attendre d’être appelé. « J’ai fait toutes les démarches que l’on m’a demandées », précise Safia. Mi-mai, alors qu’elle avait déjà expliqué plusieurs fois sa situation, envoyé des mails et des SMS, le consulat français d’Oran lui demande à nouveau tous les justificatifs.

« Cela fait deux semaines. Je n’ai plus de nouvelles. J’ai cédé et acheté en ligne des billets depuis Alger. » Avec son mari gravement malade, il faut plus de 8 heures de route pour rejoindre la capitale, pour lesquelles elle a dû chercher une ambulance.
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Les autorités françaises soulignent qu’un plan de rapatriement avait déjà permis de faire rentrer en France quelque 8 000 personnes entre le 17 mars et le 26 mai, et qu’il a fallu faire avec les moyens des compagnies aériennes. Moyens destinés d’abord aux Français « touristes » à l’étranger.

Vivement critiquée, l’ambassade de France à Alger invitait, dans un communiqué publié le 8 mai, à « faire preuve de patience », rappelant que « beaucoup sont dans un pays dont ils possèdent parfois la nationalité et souvent de la famille, ce qui veut dire qu’ils ne sont pas totalement isolés ».
Sentiment d’abandon

« Personne n’est responsable de la crise. Mais ce qui est critiquable, c’est la gestion de crise », rétorque Amin, radiologue d’un hôpital public de l’est de la France. Ce trentenaire, qui aurait dû être mobilisé dans le cadre de la réponse à la pandémie de Covid-19, est resté en Algérie sept semaines de plus que prévu. « La demande de réservation de vol se faisait par SMS ! Comment voulez-vous gérer ça avec des SMS ? Ils recevaient des centaines de messages par jour ! », précise-t-il.

Après plusieurs déplacements et des heures d’attente en agence, il est parvenu à convaincre l’un des responsables d’Air France et obtenir une place dans un vol pour Paris début mai. « On ne sait pas comment les choix de priorité ont été faits », déplore-t-il aujourd’hui.
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Parmi les reproches faits à l’ambassade de France et à la compagnie Air France, la mauvaise communication. Des vols sont annoncés, puis annulés. Des centaines de personnes se précipitent à l’aéroport, espérant acheter un billet, provoquant des attroupements. Une jeune femme crée un groupe sur les réseaux sociaux pour aider à diffuser les bonnes informations, mais ça ne suffit pas.

« Les gens n’avaient pas de réponse des services consulaires. Les moyens de ces derniers étaient limités, certes, mais un sentiment d’abandon a prévalu et, surtout, un besoin de soutien psychologique », explique Fwad Hasnaoui, président de la section Algérie de l’association Français du monde et ancien élu de l’Assemblée des Français de l’étranger.
« Au bord du burn-out »

L’homme raconte aussi de nombreuses situations de grande détresse. Les bénévoles ont répondu à des milliers de mails et de coups de téléphone angoissés d’enfants, de personnes très âgées, d’hommes dont les épouses étaient sur le point d’accoucher en France, ou encore cette jeune femme, partie initialement pour une semaine, qui avait laissé son enfant à une voisine…

L’association a trouvé des solutions d’hébergement, organisé des consultations médicales pour les personnes malades, trouvé les médicaments nécessaires indisponibles dans le pays, comme pour cet homme, sous chimiothérapie, pour lequel il a fallu acheter un traitement de plusieurs milliers d’euros, qui a été administré en Algérie.
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Ce mercredi 27 mai, ils assuraient encore la logistique pour une dame, bloquée à Tamanrasset. Pour pouvoir rentrer en France, il lui faut d’abord parcourir les 2 000 kilomètres qui la séparent de la capitale, d’où partent les avions, alors que les moyens de transports sont à l’arrêt et qu’un couvre-feu est en vigueur sur la majeure partie du territoire.

« Maintenant qu’Air France a activé la réservation en ligne des billets d’avion, ça va se régler. On est soulagé. On était au bord du burn-out », explique Fwad Hasnaoui. Deux traversées maritimes sont aussi prévues début juin, selon les autorités consulaires. Et du 1er au 8 juin, des vols seront également affrétés depuis les villes de Béjaïa et Annaba.

Zahra Chenaoui(Alger, correspondance)