Jean-Michel Blanquer : enchanteur ou saboteur ?

samedi 30 mai 2020
par  SUD Éduc

29 mai 2020 Par Jadran Svrdlin Blog : Le blog de Jadran Svrdlin

Les discours de M Blanquer sont déconnectés de la réalité de ses propres actes. Ses actes à venir restent flous et pourraient s’avérer désastreux pour l’école républicaine. L’abandon des classes sociales les plus pauvres se dessine en creux de ses projets enchanteurs. Le but est d’entériner les résultats de la lutte des classes.

Jean-Michel Blanquer a annoncé hier aux côtés du premier ministre des choses qu’on aurait pu prendre pour une volonté claire de faire revenir les élèves à l’école. A l’écouter on avait l’impression qu’il a les choses en main, qu’il prend des décisions courageuses pour le bien être de la nation. Mais si on se penche sur ce que ses paroles comportent en terme de contenu réel depuis quelques semaines nous nous rendons vite compte qu’il ne s’agit que de l’agitation. Une agitation dont l’objectif est de créer une apparence de ligne directrice alors qu’il n’en est rien. Il ne s’agit que de désengagement. On refile le bébé constamment à ceux des étages inférieurs. Par contre, dans ses paroles se dessinent en creux de véritables bifurcations concernant l’école républicaine mais celles-ci restent volontairement dans le flou. Ce flou étant précisément entretenu par cette agitation.

Concernant l’ouverture des écoles, depuis le 11 mai un protocole sanitaire est en vigueur sur tout le territoire national. De nombreuses communes n’ont pas rouvert leurs écoles du fait de l’impossibilité de respecter le protocole la plupart du temps par manque de moyens (manque de personnel, de matériel etc). M Blanquer a annoncé pourtant hier que le 2 juin toutes les écoles de France rouvriront.

Une définition du mot incantation est ici nécessaire : Emploi de formules magiques visant à produire un charme, un sortilège.

En effet, il précise lui-même ce matin que le protocole sanitaire reste en vigueur. Il s’en suit donc que les besoins des communes en personnel et en matériel pour respecter ce protocole restent identiques. Rien de nouveau donc par rapport au 11 mai. Les communes qui n’ont pas réussi à ouvrir les écoles depuis le 11 mai devront y arriver d’ici 4 jours grâce uniquement à la parole ministérielle. Rien d’autre. De plus ils devraient même trouver des moyens pour accueillir les élèves non pris en charge par les enseignants grâce au dispositif 2S2C. Décidément, il multiplie le personnel communal comme l’autre multipliait les pains.

Ce n’est pas la première fois que M Blanquer utilise une parole vide de tout fondement réel pour charmer les citoyens qui écoutent ses interventions.

A plusieurs reprises en effet, le ministre avait déclaré que nous étions prêts, et même davantage que d’autres pays, à instaurer la continuité pédagogique et à effectuer le travail à distance pendant le confinement. Malheureusement pour lui, les faits réels disent tout autre chose.

Tout d’abord, quelqu’un qui se tient prêt signifie qu’il a envisagé un événement auquel il se prépare à faire face. Si vous envisagez l’éventualité de précipitations en sortant de chez vous, vous pourrez dans ce cas vous tenir prêt en emportant votre parapluie. Si vous ne l’emportez pas c’est que vous n’envisagez pas cette éventualité. Or, qu’a déclaré M Blanquer le jeudi 12 mars sur Franceinfo ? « Nous n’avons jamais envisagé la fermeture totale des écoles en France ». Jamais envisagé donc. Sachant que c’est ce même 12 mars qu’a été annoncé la fermeture totale des écoles vous pouvez juger vous-mêmes des contradictions de la parole du ministre.

Une autre chose qui peut nous permettre de juger si nous étions prêts est ce qu’ont vécu les enseignants dans la réalité. Le SNUipp, syndicat des enseignants du premier degré a fait réaliser un sondage concernant le travail pendant le confinement. Plusieurs choses contredisent la parole du ministre. Tout d’abord, alors que 90% d’enseignants jugent que les relations avec leurs collègues ainsi qu’avec les parents d’élèves étaient bonnes, ce pourcentage tombe à 48% lorsqu’il s’agit de juger les relations avec l’administration. 37% déclarent même ces relations avec l’administration ni bonnes ni mauvaises mais... inexistantes. En outre, 96% d’enseignants déclarent avoir cherché les ressources pédagogiques par eux-mêmes, 84% disent s’être formés tout seuls en ligne et seulement 24% estiment avoir eu une bonne aide de la part de l’administration.

Bref, lorsque M Blanquer déclare, plein d’autosatisfaction, avoir été prêt, cela a autant de rapport avec la réalité que la parole du mari surpris dans une situation inconfortable et qui déclare « Ce n’est pas ce que tu crois, chérie. » Sauf que les journalistes faisant face au ministre sont beaucoup plus indulgents que l’épouse en colère.

Une autre déclaration de M Blanquer contredisant M Blanquer lui-même a été celle où il incitait les parents à remettre leurs enfants à l’école. Il est même allé jusqu’à inciter les amis ou voisins à convaincre des parents de remettre leurs enfants à l’école. En faisant de telles déclarations il prouve juste qu’il ne veut ou ne peut pas prendre des responsabilités qui lui reviennent en temps normal et essaie de les faire porter à d’autres. Peut-on imaginer que la sobriété au volant devienne facultative et que les amis ou la famille soient chargés de rappeler l’importance de celle-ci quant à la sécurité. Mais la seule décision qu’il a prise lui-même concernant ce retour est de laisser à ces mêmes parents la possibilité de garder les enfants à la maison et de les remettre à l’école sur la base du volontariat. Si ce principe de volontariat est toujours en vigueur c’est bien qu’il doit y avoir une raison pour cela. Un truc en rapport avec une pandémie... Soit on estime que le danger est inexistant grâce au protocole sanitaire et que les élèves sont obligés de se rendre à l’école à mi-temps (puisque les effectifs sont réduits) soit on prolonge le principe de volontariat mais dans ce cas-là on arrête de faire porter cette responsabilité à d’autres. Mes voisins ne sont pas plus que moi des infectiologues ou des spécialistes de la sécurité sanitaire. Encore moins ministre de l’Education Nationale.

Mais encore une fois, le plus grave dans tout cela est le silence médiatique sur ce que notre ministre prépare pour de bon. Son envie de modifier l’école en profondeur est bien réelle. L’intention de remplacer l’EPS et les apprentissages et activités culturelles dispensés par les enseignants par le dispositif 2S2C est tout simplement le début de la fin de l’école républicaine. Les enseignements relevant du sport, de la santé, du civisme et de la culture devraient être délégués aux municipalités et disparaîtraient de fait des programmes scolaires. Là aussi, les paroles du ministre sont de pures incantations. D’après lui, cela permettrait aux enfants de faire plus de sport et plus d’activités culturelles. En effet, en repensant totalement le temps de travail, une école où on arrête les enseignements « fondamentaux » à 14 heures laisserait beaucoup de temps à ces activités-là. Mais la réalité nous dit malheureusement tout autre chose. Elle nous dit que certaines communes, qui en ont les moyens, proposeront effectivement des choses intéressantes. Les communes les plus pauvres habitées par une population qui n’a souvent que l’école comme moyen d’acquérir certaines connaissances devra se contenter de quelque chose qui pourrait se rapprocher du rien.

Le projet du ministre est donc de creuser encore plus les écarts entre les différentes classes sociales. D’un côté celles qui ont déjà un héritage culturel important et qui pourront l’enrichir grâce aux moyens dont ils disposent et de l’autre les classes les plus pauvres qui n’ont aucun héritage et qui devront se contenter des apprentissages dits fondamentaux. Devenir employables en quelque sorte. Rien d’autre. Apprendre à lire et à compter n’est pas suffisant pour comprendre notre monde complexe. Ce projet est une condamnation d’une large part de nos concitoyens à l’ignorance, l’objectif étant d’anéantir toute possibilité de bouleversement de la hiérarchie sociale établie. On ne peut revendiquer des choses dont on ignore l’existence.

L’argument selon lequel les inégalités persistent et se creusent malgré l’école républicaine ne tient pas. L’abandon n’est pas une solution. Les accidents mortels n’ont pas disparu avec la ceinture de sécurité mais on n’a jamais pour autant songé à supprimer celle-ci.

Alors pour que tout cela devienne cohérent il faudrait songer à sortir du cadre officiel et observer notre monde et nos dirigeants en essayant de voir ce qu’ils sont et d’où ils viennent. La proximité de M Blanquer avec des organisations néolibérales telles que l’Institut Montaigne ou l’IFRAP apportent enfin du sens. Leur seule logique est la réduction des coûts et pas uniquement au sein de l’Education Nationale. Maintenant qu’ils ont les clés du ministère, pourquoi n’en profiteraient-ils pas pour vendre quelques meubles.

Avec ce projet c’est une rupture qui se précise. Elle a même été dénoncée par des hauts cadres du ministère lui-même. C’est également l’ouverture d’une boîte de Pandore dont on ne peut prévoir les conséquences. Car une fois le processus enclenché, le même raisonnement logique pourrait les voir supprimer d’autres pans du programme jugés non essentiels. L’Histoire par exemple ne sert à rien pour la fabrication d’une main d’oeuvre docile. De plus elle peut même s’avérer subversive. Ainsi, en se targuant de vouloir lui redonner une vrai place on pourrait la déléguer aux intervenants recrutés par les municipalités. Le problème est toujours cet écart entre le discours et la réalité.

Pour conclure on peut dire que les incantations de M Blanquer sont de deux sortes. Les premières visent à masquer une incapacité liée à la pandémie. A faire croire qu’on maîtrise une situation qu’on ne peut maîtriser à cause du manque de moyens. Ce manque de moyens étant lui-même une conséquence des politiques libérales menées depuis des années. La seconde variété d’incantations vise à nous faire croire que l’on agit pour le bien de tous alors qu’en réalité on vise à priver toute une partie de la population de certains savoirs. Ces savoirs étant aussi essentiels que d’autres. On dit souvent qu’on n’habite pas le même monde si nous ne partageons pas la même culture. Avec ce projet on est en train de fermer la porte entre les deux mondes. Va-t-on les laisser jeter la clé ?