Kirk Douglas contre le maccarthysme

vendredi 7 février 2020
par  SUD Éduc

Kirk Douglas contre le maccarthysme

Kirk Douglas vient de s’éteindre à l’âge de 103 ans. En hommage à ce très grand comédien, également producteur, nous republions cet article de Christophe Kantcheff sur I am Spartacus !, le livre qu’il avait publié à propos du film de Stanley Kubrick, traduit en français chez Capricci en 2013.

« L es années 1950 ont été marquées par la peur et la paranoïa. L’ennemi d’alors était les communistes. Aujourd’hui, ce sont les terroristes. Les noms changent, mais la peur reste la même. Et elle est toujours exacerbée par les hommes politiques et exploitée par les médias. » Ces lignes ne sont pas celles d’un militant d’Occupy Wall Street, mais de Kirk Douglas. Elles sont extraites d’un livre, I am Spartacus !, que le célèbre acteur américain, toujours bien vivant à 96 ans, a publié l’an dernier aux États-Unis, aujourd’hui traduit en français, sur l’un de ses plus grands films. Réalisé par Stanley Kubrick, Spartacus est non seulement interprété mais fut voulu et produit par Kirk Douglas, qui raconte ici les aléas mouvementés de la réalisation. Ce qui frappe d’emblée avec ce livre, c’est qu’il est tout aussi politique que le film lui-même, dimension qui a été maintes fois soulignée même si l’intention première a été respectée : faire du soulèvement de l’esclave romain un grand spectacle. I am Spartacus ! s’ouvre sur un épisode qui a inauguré une période noire de l’histoire des États-Unis. Nous sommes le 28 octobre 1947, jour où la Commission des activités anti-américaines entend neuf scénaristes et un cinéaste sur leurs affiliations politiques. Soupçonnés d’être peu ou prou communistes, ceux qu’on surnommera les « Dix d’Hollywood » sont, dans le milieu du cinéma, les premiers persécutés du maccarthysme (même si, à cette époque, le sénateur qui a donné son nom à cette triste chasse aux sorcières n’en est pas encore la figure centrale).

Kirk Douglas évoque cette période avec force, où les petites et grandes lâchetés font florès. Après avoir rappelé qu’il est lui-même d’origine juive et russe – son vrai nom est Issur Danielovitch Demsky –, il écrit à propos de la « déclaration du Waldorf », qui inaugure la liste noire, signée notamment par les directeurs des grands studios d’Hollywood, comme Jack Warner ou Louis B. Mayer : « Six des Dix d’Hollywood étaient juifs. Je regrette d’avoir à le dire, mais la majorité de ceux qui ont publié la déclaration du Waldorf l’étaient aussi. Comment des juifs, eux-mêmes victimes de millénaires de persécution, et notamment de l’épisode de peur et de génocide le plus atroce que le monde ait connu – l’Holocauste en Europe – pouvaient-ils justifier de perpétuer le même climat de peur en Amérique ? » Si Kirk Douglas consacre de nombreuses pages à cette période, c’est parce qu’elle concerne Spartacus. Le film est pourtant tourné une dizaine d’années plus tard, à la fin des années 1950. Mais, précisément : si le maccarthysme prend « officiellement » fin en 1954, Hollywood « semble farouchement déterminée à se persécuter elle-même », écrit Douglas. Des vies professionnelles, et parfois même des vies tout court, vont continuer à être brisées. La liste noire perdure, et les pestiférés restent des pestiférés. Or, deux scénaristes faisant partie des Dix d’Hollywood, et ayant pour cela connu la prison, vont être impliqués dans la création du film. C’est d’abord Howard Fast, marxiste revendiqué, qui est aussi romancier. En 1951, au sortir de sa détention, il a achevé un gros manuscrit, l’Histoire de Spartacus, que personne ne veut publier et qu’il édite donc à compte d’auteur. Mais quand sont révélées les horreurs commises par Staline, en 1956, il rompt avec le parti communiste, ce qui lui vaut une réhabilitation. C’est, ensuite, Dalton Trumbo. Il n’a, quant à lui, jamais accepté de se déjuger. Scénariste talentueux et prodigue, il a continué à travailler sous pseudonymes, sans pouvoir apparaître au grand jour. D’où l’embarras d’Hollywood quand, à deux reprises, un Oscar lui est attribué. C’est avec Trumbo qu’ I am Spartacus ! se transforme en polar incroyable. Kirk Douglas lui a demandé d’adapter le livre de Fast. « Ses opinions politiques me sont bien égales », précise-t-il. Douglas va non seulement protéger jusqu’au bout son scénariste – alors que la pression se fait de plus en plus grande pour qu’il dévoile son identité. Mais en 1960, quand le film sort, il permet à Dalton Trumbo de retrouver son nom : celui-ci est crédité au générique.

Entre-temps, Kirk Douglas a raconté comment il a fondé sa société de production, s’est engagé sur l’immense projet qu’est Spartacus,_et se trouve alors en concurrence avec un projet équivalent, _The Gladiators. Bien entendu, I am Spartacus ! est bourré de mille anecdotes. Douglas les délivre avec gourmandise, surtout quand il raconte comment il a réussi à réunir son casting, qu’il voyait d’emblée prestigieux – Sir Laurence Olivier, Charles Laughton, George Sanders, Peter Ustinov, Tony Curtis et Jean Simmons – et la façon dont toutes ces personnalités, aux egos non atrophiés, se sont conduites sur le plateau : c’est par exemple l’humeur grincheuse et procédurière de Laughton ou l’esprit malin et inventif d’Ustinov. Les rapports entre Kirk Douglas et Stanley Kubrick, qui a remplacé Anthony Mann, déficient, sont également hauts en couleur. Le réalisateur de 30 ans à peine, qui a déjà tourné les Sentiers de la gloire_avec Douglas comme acteur et producteur, est peu sympathique et tient à mettre en scène comme il l’entend, alors que le budget du film explose. Même s’il lui reconnaît un talent exceptionnel – c’est pourquoi il l’a engagé –, Kirk Douglas peut écrire à son propos qu’il n’est qu’un « gamin prétentieux du Bronx », ce que bien peu se permettraient, surtout _a posteriori. C’est sans doute ce qui caractérise le plus ce comédien magnifique qui va triompher avec Spartacus et dont ce livre témoigne : sa liberté de pensée.

I am Spartacus ! , Kirk Douglas, traduit de l’américain par Marie-Mathilde Burdeau, Capricci, 189 p.
Christophe Kantcheff

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Années 1940

1946 : L’Emprise du crime de Lewis Milestone : Walter O’Neil
1947 : La Griffe du passé ou Pendez-moi haut et court de Jacques Tourneur : Whit
1947 : Le deuil sied à Électre de Dudley Nichols : Peter Niles
1948 : L’Homme aux abois de Byron Haskin : Nole Turner
1948 : La Ville empoisonnée de John M. Stahl : Tucker Wedge
1949 : My Dear Secretary de Charles Martin : Owen Waterbury
1949 : Chaînes conjugales de Joseph L. Mankiewicz : George Phipps
1949 : Le Champion de Mark Robson : Midge

Années 1950

1950 : La Femme aux chimères de Michael Curtiz : Rick Martin
1950 : La Ménagerie de verre d’Irving Rapper : Jim O’Connor
1951 : Une corde pour te pendre de Raoul Walsh : Marshal Len Merrick
1951 : Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder : Chuck Tatum
1951 : Histoire de détective de William Wyler : Det. James McLeod
1952 : La Vallée des géants de Felix E. Feist : Jim Fallon
1952 : La Captive aux yeux clairs de Howard Hawks : Jim Deakins
1952 : Les Ensorcelés de Vincente Minnelli : Jonathan
1953 : Histoire de trois amours de Vincente Minelli et Gottfried Reinhardt : Pierre Narval
1953 : Le Jongleur d’Edward Dmytryk : Hans Muller
1953 : Un acte d’amour d’Anatole Litvak : Robert Teller
1954 : Vingt Mille Lieues sous les mers de Richard Fleisher : Ned Land
1954 : Ulysse de Mario Camerini : Ulysse
1955 : Le Cercle infernal d’Henry Hathaway : Gino Borgesa
1955 : L’homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor : Dempsey Rae
1955 : La Rivière de nos amours de André de Toth :
1956 : La Vie passionnée de Vincent van Gogh de Vincente Minnelli et George Cukor
1957 : Affaire ultra-secrète de H. C. Potter
1957 : Règlements de comptes à OK Corral de John Sturges
1957 : Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick
1958 : Les Vikings de Richard Fleischer
1959 : Le Dernier Train de Gun Hill de John Sturges : Matt Morgan
1959 : Au fil de l’épée de Guy Hamilton
1959 : Premier Khrushchev in the USA (documentaire)

Années 1960

1960 : Liaisons secrètes de Richard Quine
1960 : Spartacus (aussi producteur exécutif) de Stanley Kubrick
1961 : Ville sans pitié de Gottfried Reinhardt
1961 : El Perdido de Robert Aldrich
1962 : Seuls sont les indomptés de David Miller
1962 : Quinze jours ailleurs de Vincente Minnelli
1963 : Un homme doit mourir de George Seaton
1963 : Le Dernier de la liste de John Huston
1963 : Trois filles à marier de Michael Gordon
1964 : Sept jours en mai de John Frankenheimer
1965 : Les Héros de Télémark d’Anthony Mann
1965 : Première Victoire d’Otto Preminger
1966 : L’Ombre d’un géant de Melville Shavelson
1966 : Paris brûle-t-il ? de René Clément
1967 : La Route de l’Ouest d’Andrew V. McLaglen
1967 : La Caravane de feu de Burt Kennedy
1968 : Rowan & Martin at the Movies (court métrage)
1968 : Once Upon a Wheel (documentaire)
1968 : Un détective à la dynamite de David Lowell Rich
1968 : Les Frères siciliens (aussi producteur), de Martin Ritt
1969 : L’Arrangement d’Elia Kazan

Années 1970

1970 : Le Reptile de Joseph L. Mankiewicz
1971 : Les Doigts croisés de Dick Clement
1971 : Le Phare du bout du monde (aussi producteur) de Kevin Billington
1971 : Dialogue de feu de Lamont Johnson
1972 : Un homme à respecter de Michele Lupo
1973 : Scalawag (réalisé par lui-même)
1975 : Une fois ne suffit pas de Guy Green
1975 : La Brigade du Texas (aussi réalisateur et producteur)
1976 : Les Hommes d’argent (Arthur Hailey’s MoneyChangers) (mini-série)
1977 : Holocauste 2000 d’Alberto De Martino
1978 : Furie de Brian De Palma
1979 : Cactus Jack de Hal Needham

Années 1980

1980 : Saturn 3 de Stanley Donen
1980 : Home Movies de Brian De Palma
1980 : Nimitz, retour vers l’enfer de Don Taylor
1982 : L’Homme de la rivière d’argent de George Miller
1983 : Un flic aux trousses de Jeff Kanew
1984 : Le Duel des héros (Draw !), téléfilm de Steven Hillard Stern
1985 : Meurtre au crépuscule de Michael Tuchner (téléfilm)
1986 : Coup double de Jeff Kanew
1987 : Queenie, la force d’un destin de Larry Peerce (téléfilm)
1988 : Procès de singe (Inherit the Wind), téléfilm de David Greene

Années 1990 et 2000

1991 : L’embrouille est dans le sac de John Landis
1991 : Veraz de Xavier Castano
1994 : A Century of Cinema de Caroline Thomas (documentaire)
1994 : Greedy de Jonathan Lynn
1999 : Diamonds de John Mallory Asher
2003 : Une si belle famille de Fred Schepisi
2004 : Illusion de Michael A. Goorjian

Télévision

1954 : The Jack Benny Programm (série) : Kirk
1966 : L’Extravagante Lucie : Kirk Douglas
1968 : The Legend of Silent Night (série) : le narrateur
1972 : The Special London Bridge Special (téléfilm) : l’indien combattant
1973 : Dr. Jekyll and Mr. Hyde (téléfilm) : le docteur Jekyll/Mr. Hyde
1974 : Pris au piège (Mousey) (téléfilm) : George Anderson
1976 : Victoire à Entebbe (Victory an Entebbe) (téléfilm) : Hershel Vilnofsky
1976 : Les hommes d’argent (Arthur Hailey’s the Moneychangers) (série) : Alex Davenport
1982 : Remembrance of Love (téléfilm) : Joel Rabin
1984 : Le duel des héros (Draw !) (téléfilm) : Harry H. Holland
1985 : Amos, le grand-père justicier (Amos) (téléfilm) : Amos Lasher
1987 : Vie de star (Queenie) (série) : David Konig
1988 : Tu récolteras la tempête (Inherit the Wind) (téléfilm) : Matthew Harrison Brady
1991 : Les contes de la crypte : le général Kalthrob
1992 : The Secret (téléfilm) : Mike Dunmore
1994 : Take Me Home Again (téléfilm) : Ed Reece
1996 : Les Simpson : Chester J. Lampwick
2000 : Les anges du bonheur : Ross Burger
2008 : Meurtres à l’Empire State Building : Jim Kovalski