L’Assemblée nationale n’a pas mandat pour casser nos retraites !

mercredi 15 janvier 2020
par  SUD Éduc

Les millions de voix de barrage dont a bénéficié Emmanuel Macron contre Marine Le Pen ne lui valent ni à lui ni aux députés un blanc-seing pour abîmer ce qui fait le cœur de notre république depuis la Libération.

Par Charlotte Girard
Maîtresse de conférences en droit public
Alphée Roche-Noël
Essayiste, auteur du blog vudelabutte.fr

Le 17 février, le projet de loi sur les retraites doit être examiné par l’Assemblée nationale.

En ne renonçant pas à l’examen parlementaire d’un texte qui a d’ores et déjà suscité le plus long mouvement social du dernier demi-siècle et auquel les Français s’opposent très majoritairement, le gouvernement bafoue la démocratie.

Utilisant tous les expédients offerts par l’actuelle constitution, il a même déjà annoncé qu’il pourrait passer par ordonnance pour imposer l’âge pivot et agite la menace du 49.3 pour se réserver, in fine, le bénéfice de la tenue d’un débat en bonne et due forme au Parlement.

Plus que jamais, les institutions sont donc tournées contre le peuple, au service d’un rapport de force dont l’issue espérée est la victoire de la minorité contre la majorité, et la représentation nationale est utilisée comme chambre d’enregistrement et caution morale d’un pouvoir en réalité entièrement concentré entre les mains du président de la République.

Pourtant, disons-le tout net : Emmanuel Macron n’a pas mandat pour toucher aux retraites.

Premièrement, parce que les millions de voix de barrage dont il a bénéficié contre Marine Le Pen ne valent pas blanc-seing pour désosser la solidarité nationale et faire place nette aux assurances et autres fonds de pension.

Deuxièmement, parce qu’il a menti aux Français. En effet, quand son programme mentionnait une mesure purement technique, qui ne devait avoir pour conséquence ni de reculer l’âge de départ, ni de réduire les pensions, la réforme qu’il défend désormais contre la volonté populaire renie ces deux engagements.

Pas plus que le président de la République dont ils procèdent, les députés de la majorité n’ont mandat pour abîmer ce qui fait le cœur de notre république depuis la Libération. Leur propre légitimité émanant directement de l’élection d’Emmanuel Macron, la réforme qu’ils adopteraient ainsi ne serait pas celle de la nation, mais celle d’un seul individu.

Alors que, depuis un mois et demi, des centaines de milliers de citoyennes et de citoyens font grève et descendent dans la rue pour exprimer leur refus d’une loi destructrice, il ne serait pas acceptable de laisser le processus législatif se poursuivre comme si de rien n’était.

Par ses manœuvres politiciennes, Macron ressuscite le vieux monde et nous ramène au régime des partis : la droite critique un texte qu’elle juge vidé de sa substance, la gauche un texte jusqu’au-boutiste, et Macron d’user de cette position d’entre-deux pour faire croire à une position d’équilibre. Mais à l’heure où le président se fait fort de réaliser le programme de la droite libérale, cette posture est au mieux un leurre, plus certainement un piège. Car à ce jeu-là, la suite de l’histoire est écrite d’avance. Les opposants à la réforme auront beau défendre brillamment leurs arguments dans l’hémicycle, à la fin des fins, la loi sera adoptée, les petites gens pourront bien travailler jusqu’à l’épuisement, les retraités être de plus en plus pauvres et les grands capitalistes faire main basse sur l’épargne des classes moyennes qui peuvent encore se permettre de mettre de l’argent de côté.

Au total, c’est la société tout entière qui aura renoncé à l’une des promesses de sa fondation : permettre à chacun de terminer sa carrière à un âge raisonnable, tout en continuant d’être rémunéré dignement.

Depuis plus d’un an maintenant, les Françaises et les Français disent leur volonté de révoquer le théâtre d’ombres qu’était devenue la politique pour se réapproprier leur souveraineté. Mais Macron qui ne les entend pas continue de mettre en œuvre les vieilles tactiques de la république monarchique.

Une option moins déshonorante pour lui et plus conforme à l’esprit des institutions aurait été de soumettre son texte au référendum. Et cette option lui aurait encore donné l’avantage, aussi vrai qu’avoir le choix des mots, c’est avoir le choix des armes.

Aujourd’hui, nous devons lui dire que sa tentative de passage en force doit s’arrêter là.

Nous devons lui dire qu’on ne réécrit pas le contrat social sur un coin de table, avec BlackRock pour commensal.

Nous devons lui dire que sa majorité n’a pas de délégation de souveraineté pour porter atteinte aux conditions matérielles d’existence des générations futures.

Nous devons affirmer que le temps constituant est arrivé, et qu’au point où nous en sommes de la décomposition du système politique, seul un processus de refondation permettra de remettre à l’heure les pendules de la démocratie ; de redéfinir, toutes et tous ensemble, les principes fondamentaux de la société dans laquelle nous souhaitons vivre et vieillir.

Liste des signataires :

François Cocq, essayiste, Gwénolé Bourrée, syndicaliste étudiant, Flavien Chailleux, gilet jaune et fonctionnaire au sein du ministère du travail, Hélène Franco, magistrate syndicaliste, Charlotte Girard, maîtresse de conférences de droit public, Manon Le Bretton, enseignante et élue rurale, Jeannick Le Lagadec, conseillère départementale, Walter Mancebon, militant pour une VIe République, Manon Milcent, étudiante gilet jaune, Sacha Mokritzky, directeur de la communication du média Reconstruire.org, Alphée Roche-Noël, essayiste, Frédéric Viale, juriste spécialiste des traités de libre-échange, membres des Constituants