LES EMAILS ET LES SMS COMME MOYENS DE PREUVE

vendredi 26 avril 2019
par  SUD Éduc

II – Les tempéraments légaux et jurisprudentiels permettant la preuve en Justice par emails ou SMS

Plus les années passent, plus les juges admettent la preuve par emails ou SMS.

Dans le cadre des procès pénaux, la chambre criminelle de la cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que :

« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale, il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (Cass. crim., 13 oct. 2004).

Dans le cadre des procès en droit du travail, dans son célèbre arrêt Nikon, la chambre sociale de la cour de cassation a jugé que le respect de l’intimité de la vie privée du salarié interdit à l’employeur de prendre connaissance des emails personnels émis et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail (Cass. soc., 2 oct. 2001).

Le 17 mai 2005 la chambre sociale a limité ce principe général en jugeant que si « l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé », « sauf risque ou événement particulier » (Cass. soc., 17 mai 2005).

La chambre sociale a encore précisé dans un arrêt du 23 mai 2007 que :

« le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 NCPC dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicités » (Cass. soc., 23 mai 2007).

Par ailleurs, l’assimilation jurisprudentielle de l’employeur au fournisseur de services Internet peut être intéressante car il pourra en résulter une obligation de conservation des données informatisées à la charge de l’employeur.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé le 4 février 2005 que :

« en sa qualité non contestée de prestataire technique au sens de l’article 43-7 de la loi du 1er août 2000, la société BNP Paribas est tenue, en application de l’article 43-9 de ladite loi, d’une part, de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de toute personne ayant contribué à la création d’un contenu des services dont elle est prestataire et, d’autre part, à communiquer ces données sur réquisitions judiciaires » (CA Paris, 14e ch., 4 févr. 2005).

Enfin, s’agissant des SMS un récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation vient de juger que l’utilisation d’un SMS comme mode de preuve est un procédé loyal recevable, par opposition à l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée effectuée à l’insu de son auteur, car ce dernier ne peut ignorer que les messages sont enregistrés par l’appareil récepteur (Cass. soc., 23 mai 2007).

Dans le cadre des procédures de divorce, la Cour de cassation a admis la preuve par emails en rejetant l’argument selon lequel la production de courriels constituerait une atteinte au secret des correspondances et à la vie privée dans la mesure où le conjoint s’en serait emparé sans le consentement de l’autre. Elle a donc exclu que les emails puissent constituer un mode de preuve illicite réalisant une ingérence disproportionnée dans la vie privée non justifiée par l’intérêt de l’époux demandeur au divorce (Cass. 1re civ., 18 mai 2005).

Ainsi, l’absence de remise volontaire des documents ne fait pas présumer la fraude.

Encore plus récemment, la 1re chambre civile de la cour de cassation vient de censurer un arrêt d’appel en jugeant, le 17 juin 2009, que :

« en matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens ; [et dès lors] … le juge ne peut écarter des débats un élément de preuve que s’il a été obtenu par violence ou fraude » (Civ. 1re, 17 juin 2009).

Les minimessages adressés par téléphone portable sont donc admis comme moyen de preuve de l’adultère quand bien même la lecture a été faite à l’insu de son destinataire et que cela constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne, sauf à constater qu’ils ont été obtenus par violence ou par fraude.

Ne constitue ni une violence, ni une fraude, le fait de lire, à l’insu de son conjoint, les messages de son téléphone portable.

A la lecture de cette décision l’éminent Professeur de droit Jean Hauser fait la remarque suivante :

« Conjoints infidèles, mettez votre journal intime au coffre, brûlez vos correspondances, ne perdez pas vos portables, effacez vos messages et vos images dès que reçues, codez vos ordinateurs, des oreilles ennemis vous écoutent et les spams et virus conjugaux sont les pires ! » (RTD. Civ 2009, p. 514)

Pour conclure, la Cour de cassation a ouvert la voie à ces nouveaux moyens de preuve et laisse une large marge de manœuvre pour la découverte d’une telle preuve.

III - La preuve par email ou SMS limitée par leur fiabilité technique

Lorsque l’e-mail produit à titre de preuve n’est pas signé, ce qui est souvent le cas dans les litiges, la question de la fiabilité technique se pose avec le plus d’acuité. Il en est ainsi dans les affaires en droit de la famille, en droit du travail et en droit pénal.

La personne soupçonnée d’avoir envoyé le mail litigieux pourra invoquer plusieurs types de défense pour mettre en doute la fiabilité d’un courriel.

Elle pourra tout d’abord prouver qu’elle n’était pas présente à son poste informatique à l’heure d’envoi du mail, ce qui n’est pas tâche facile.

En cas d’impossibilité d’apporter cette preuve, la personne pourra démontrer que d’autres personnes (époux, secrétaire, administrateur de réseau, tiers) ayant accès à son mot de passe auraient pu se connecter à son poste informatique et envoyer l’e-mail litigieux à partir de ce poste.

Si un mot de passe avait été mis en place, la personne soupçonnée pourra invoquer le fait que l’usurpateur a forcé son mot de passe et s’est introduit dans son poste informatique.

En effet, Eric Charton, dans un ouvrage intitulé Hacker’s guide indique qu’« absolument tous les mots de passe créés par des logiciels fonctionnant sous Windows mais aussi sur Mac et sur des ordinateurs sous Linux peuvent être décodés par un contre-logiciel de décryptage spécialisé : il suffit de le trouver sur Internet, et il est souvent gratuit » (éd. CampusPress, 2003, p. 175).

Face à la production par l’employeur d’un e-mail envoyé par un salarié, le salarié peut invoquer le fait qu’un tiers (un pirate, le pirate suspecté étant souvent l’employeur ou l’administrateur réseau) ait pu envoyer cet e-mail du poste informatique du salarié en s’introduisant sur ce poste dans le but de confondre ce dernier.

De même, dans un procès en divorce, l’époux qui se voit opposer un mail matérialisant ses manquements aux devoirs conjugaux, qu’il aurait envoyé, peut tenter de contester être l’auteur du mail (CA Paris, 11 févr. 2004).

En effet, il existe divers moyens afin de faire tomber la preuve par email ou par SMS, de sorte qu’ il convient de s’armer d’un avocat spécialisé en la matière pour ne pas courir de risque dans le cadre de la procédure judiciaire en produisant une preuve viciée.

Ainsi, il sera dans certains cas opportun de solliciter les services d’un avocat afin d’obtenir, avant toute action, une ordonnance sur requête délivrée par le Président du tribunal de grande instance compétent ainsi que la présence d’un huissier assisté, le cas échéant, par un expert en informatique pour procéder à des investigations afin de garantir la recevabilité juridique de ces éléments de preuve.