La gazette du collectif Délinquants solidairesn° 1, 11 avril 2019

lundi 15 avril 2019
par  SUD Éduc

Voici le premier numéro d’une gazette qui sera désormais mensuelle.
Témoignage

30 juillet 2018, vol Air France, Paris-Erevan – Caroline s’indigne contre des violences policières sur une personne expulsée

Je suis une jeune femme française, mon compagnon est arménien et nous avons une petite fille née en 2017. Le lundi 30 juillet 2018, mon compagnon, notre fille et moi sommes montés à bord d’un avion d’Air France à destination d’Erevan. Nous devions passer nos premières vacances ensemble en Arménie et présenter notre bébé de presque quatorze mois à sa famille arménienne. Avant le décollage, j’ai dû changer la couche de notre bébé dans les toilettes de l’avion. De l’intérieur des toilettes j’ai entendu des cris. Puis en sortant avec la petite dans les bras, je me suis retrouvée face à une scène très violente : un homme maintenu par des policiers criait et se débattait et il portait sur la tête une sorte de casque de boxe noir qui recouvrait entièrement son visage ! Très choquée et me demandant s’il s’agissait de l’expulsion d’un sans-papiers j’ai posé quelques questions. Les policiers ont essayé de me dissuader de "me mêler de ce qui ne me regardait pas", notamment en me disant que cet homme avait violé une mineure et que je ferais mieux de penser à ma fille. Je refusais malgré tout de retourner comme si de rien n’était à ma place et à un moment donné j’ai dit assez fort quelque chose comme : "il y a un homme attaché au fond de l’avion, c’est horrible !". Alors les policiers m’ont expliqué que j’étais en état d’arrestation. Je les ai suivis comme ils me le demandaient à l’extérieur de l’avion. J’étais vraiment bouleversée et je pleurais. Quant à mon compagnon, qui m’avait d’abord suivie, avec le bébé, à l’extérieur de l’avion, j’ai fini par le convaincre de ne pas renoncer à ce voyage et tous deux sont remontés à bord.

Les policiers m’ont conduite à un commissariat et après qu’une autre policière ait pris ma déposition, je me suis retrouvée avec ma petite robe d’été, privée de mes affaires, dans une cellule de garde à vue relativement sordide où j’ai aussi passé la nuit. Au cours de cette garde à vue, j’ai été témoin des mauvaises conditions dans lesquelles ces policiers travaillent. D’autre part, j’ai pris conscience de la position vulnérable dans laquelle on se trouve quand on est prisonnier et de la souffrance que procure l’absence d’activité (relative dans mon cas puisque de ma cellule je voyais et j’entendais les personnes à l’accueil de la garde à vue). Le temps est passé extrêmement lentement. C’était d’autant plus perturbant qu’on m’avait dit au début que je sortirais sans doute le soir-même, puis le soir que je sortirais probablement le lendemain matin et en fin de compte ce n’est que le lendemain, le mardi 31 juillet, après le repas de midi que j’ai été transportée au Tribunal de grande instance de Bobigny où j’ai brièvement partagé la cellule d’une jeune femme (étrangère) avant d’être présentée à la procureure de la République. La cellule était entièrement carrelée, totalement isolée, avec une toute petite ouverture et la jeune femme n’avait même pas eu de matelas pour dormir ni de papier WC. Mais je crois que ce qui était encore pire pour elle c’était de ne pas avoir l’heure. Elle ne pouvait déduire l’heure qu’au moment des repas et quand je suis arrivée elle croyait/espérait qu’on était déjà le soir.

Procédures judiciaires récentes

1er avril 2019 : cour d’appel d’Aix-en-Provence. Loïc est condamné à 3000€ avec sursis condamnation pour aide à la circulation et au séjour irrégulier.

Le 18 janvier 2018, Loïc est arrêté lors d’un contrôle d’identité au péage de La Turbie dans le sens Italie-France. À bord de son véhicule, il y avait un ressortissant éthiopien. Ils ont tous les deux été arrêtés. Loïc a reconnu avoir aidé cette personne dans son parcours migratoire pour des motifs humanitaires (quelques jours avant, un homme avait été retrouvé mort, électrocuté, sur le toit du train en provenance de Vintimille). L’Éthiopien a été expulsé.

Il avait été relaxé au motif que : « Le délit d’aide à la circulation et au séjour irrégulier [...] suppose pour être établi que soit établi la situation irrégulière de l’étranger. Celle-ci ne saurait résulter des seuls éléments contenus dans le procès verbal d’interprétation susvisé dès lors qu’ils ne sont pas complétés par un minimum de vérifications policières. […] La culpabilité ne peut être retenue sur la seule base de l’auto-incrimination, le délit poursuivi n’apparaît pas suffisamment caractérisé en l’absence d’enquête sur la situation administrative de l’étranger visé à la procédure » (TGI de Nice, 14 mars 2018, n°805-18).

1er mars 2019, Cour d’appel de Patras : relaxe de Stephan. Il avait été condamné par la Cour d’assise à 7 ans de prison

En 2015, ce Français originaire d’Albi avait tenté d’aider sa belle famille, fuyant la guerre en Syrie, à passer de Grèce en Italie en les rejoignant sur place en voiture pour organiser un trajet en ferry. Ces derniers venaient alors de traverser la Méditerranée dans des conditions extrêmement périlleuses, afin de trouver refuge en France, auprès de leur fille, de Stéphan et de leurs enfants. Malheureusement, la tentative échoue. Les autorités grecques contrôlent les cinq passagers et les placent en garde à vue. Stéphan avait été accusé de "transport illégal en masse du territoire grec vers le sol d’un pays membre de l’Union européenne de ressortissants d’un pays tiers non munis de passeport" (Précisions)

22 février 2019, TGI de Bobigny ; relaxe d’une poursuite pour entrave à la circulation d’un aéronef

Témoignage ci-dessus (Compléments)

14 février 2019, TGI de Nice : relaxe d’une plainte pour injure publique par le préfet des Alpes-Maritimes

Le préfet Georges-François Leclerc reprochait à Cédric Herrou d’avoir écrit sur sa page Facebook les 12 et 13 juin 2017 : « Peut-être le préfet des Alpes-Maritimes pourrait-il s’inspirer des accords avec la SNCF pendant la deuxième guerre pour le transport des juifs pour gérer le transport des demandes d’asile… ».

Cédric était poursuivi pour injure publique (Précisions et mise au point par Cédric Herrou)

10 janvier 2019, TGI de Gap : condamnation à 3 mois d’emprisonnement avec sursis pour « aide à l’entrée sur le territoire national d’étrangers en situation irrégulière ».

Le 6 janvier 2018, la police de Montgenèvre avait procédé à un contrôle sur la zone de 20km bordant la frontière franco-italienne (à la suite d’un appel téléphonique anonyme). Pierre qui accompagnait trois personnes migrantes avait tenté, en vain, d’éviter leur interpellation suivie d’une expulsion (TGI de Gap, 10 janvier 2019, n° 1853000012).

Harcèlement et poursuites

- 13 mars : sept militants de la Roya passent une nuit en garde à vue (L’Obs).

Interpellés à l’aube par des groupes de gendarmes armés de façon impressionnante.

Stop au harcèlement judiciaire des militants de la Roya (Collectif ligrants 92)

- Janvier : mise en examen d’une personnalité du RESF de la Somme pour avoir logé une famille arménienne

Criminalisation des acteurs du sauvetage des migrants en Méditerranée

En Italie, 10 volontaires risquent 20 ans de prison pour avoir secouru des naufragés, Le courrier de l’Atlas, 3 avril 2019, par Rached Cherif

Le Iuventa a contribué à sauver près de 20 000 personnes avant d’être saisi par la justice italienne en 2017. Sept Allemands, deux Écossais et un Espagnol encourent jusqu’à 20 ans de prison après avoir sauvé des milliers de personnes de la noyade en Méditerranée centrale. La justice italienne les accuse d’« aide à l’immigration irrégulière » pour avoir mené des opérations de sauvetage à bord du Iuventa.

En France, le ministre de l’intérieur fait chorus avec Matteo Salvini

- Migrants en Méditerranée : "les ONG ont pu se faire complices des passeurs", estime Castaner, AFP, 4 avril

La veille, le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, avait dénoncé devant la presse le rôle des ONG en Méditerranée en affirmant avoir reçu le soutien de ses collègues français, allemand et britannique et de l’ensemble du G7 sur sa position. « À ma grande satisfaction, je ne suis pas le seul à avoir des doutes sur les ONG en Méditerranée ».

- SOS Méditerranée : lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur, 9 avril

Extrait : Nous en appelons à votre responsabilité pour faire cesser les attaques infondées, et protéger les acteurs du sauvetage en mer injustement incriminés. Car, alors que l’Union européenne a progressivement abdiqué son devoir d’assistance en Méditerranée centrale, il est de votre responsabilité et de celle des autres Etats européens de faire appliquer le droit.

- Castaner persiste sur des « interactions » entre ONG et passeurs en Méditerranée, Mediapart, 10 avril 2019, par Mathilde Mathieu

Un décryptage précis des « preuves » et des rapports de Frontex invoqués sans fondement par le ministre.

Extraits de la conclusion : En fait, en parallèle de la « criminalisation » des ONG et des interdictions administratives de naviguer qui leur sont infligées (par l’Espagne à l’Open Arms récemment), on sait que l’UE a choisi de former et d’équiper les garde-côtes libyens, auxquels les secours sont en quelque sorte délégués. […] Mardi, l’envoyé spécial du Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU, Vincent Cochetel, a tweeté dans une certaine indifférence générale : « En Méditerranée, pour les États membres de l’UE, SAR [Search and Rescue en anglais – ndlr] ne signifie plus “Recherche et secours”, ça veut dire “Recherche et retour” en Libye […]. Ça ne m’a pas l’air de correspondre aux droits fondamentaux que toutes les agences, opérations et projets de l’UE devraient respecter… ».

Analyses et tribune

- Véronique Champeil-Desplats, « Le principe constitutionnel de fraternité : entretien avec Patrice Spinosi et Nicolas Hervieu », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 15|2019, mis en ligne le 10 janvier 2019 ; DOI : 10.4000/revdh.5881

- Alina Miron et Bérangère Taxil, « Le dernier voyage de L’Aquarius », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 15|2019, mis en ligne le 14 janvier 2019, DOI : 10.4000/revdh.5925

- Anafe, Persona non grata - Conséquences des politiques sécuritaires et migratoires à la frontière franco-italienne, Rapport d’observations 2017-2018.

Avec : « délit de solidarité » : frénésie de la criminalisation des militants en France, p. 99 à 105 ; la société civile fait de la résistance, p. 106 à 112.

- Tribune : Sauver des vies n’est pas un délit, dans les montagnes comme ailleurs (JDD, 9 mars 2019) - Cécile Coudriou (présidente d’Amnesty International), France Christophe Deltombe (président de la Cimade), Philippe de Botton (président de Médecins du Monde France), Mego Terzian (président de Médecins Sans Frontières France), Véronique Fayet (présidente du Secours Catholique), Marie Dorléans (co-présidente de Tous Migrants).



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