La salle des profs, un « café des Lumières » en crise ?

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mardi 8 octobre 2019
par  SUD Éduc

Thibaut Poirot

Professeur d’histoire en lycée

Si la sociabilité enseignante a profondément évolué depuis trente ans, les professeurs sont aujourd’hui confrontés à des « logiques administratives atomisantes pour les relations sociales et humaines », selon le professeur d’histoire en lycée Thibaut Poirot.

Tribune. Parmi les multiples crises de la condition enseignante (salaires, prestige social du métier, etc.), il y en a une dont on parlait encore peu et qui pourtant a son importance, d’autant plus au moment où s’engagent des réflexions sur l’entrée dans le métier et la revalorisation de celui-ci : celle de l’ethos enseignant. A savoir, le modèle traditionnel d’une vie placée sous le signe de la coopérative, du sociétaire.

Les drames de ces dernières semaines ont souligné de plus en plus la mise en contradiction par l’institution de cet engagement « au service des autres et de soi » qu’est l’enseignement avec des logiques administratives atomisantes pour les relations sociales et humaines.
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On pouvait résumer il y a encore trente ans la vie d’un professeur à une succession de cercles d’appartenance qui faisait sa condition. Pour résumer à gros traits, l’image du professeur militant d’un syndicat, adhérent de la MAIF et de la MGEN, engagé quotidiennement dans une association professionnelle de sa discipline, commandant ses meubles à la Camif, bénévole dans une structure d’intérêt général, envoyant ses enfants dans une colonie de vacances de la Ligue de l’enseignement tend à disparaître.

Ces engagements existent toujours, mais davantage en pointillé, déliés les uns et des autres. Pourquoi ? Dire que ce phénomène s’explique par la crise d’un modèle plus global (associatif et confraternel) est facile mais ne répond pas à la question : ce serait dire que les professeurs sont des Françaises et des Français comme les autres. Expliquer cela par le prisme de la « montée de l’individualisme », qui rendrait possible l’affaiblissement des solidarités professionnelles, est là encore un argument faible.

La question est plutôt de comprendre où cette sociabilité enseignante se déplace aujourd’hui. Pourquoi peut-on dire qu’elle connaît à la fois une renaissance et une crise au quotidien ? Voir refleurir les termes d’« économie de la connaissance », de « partages de pratiques », d’« innovations collaboratives » apparaît plus comme une réinvention de ce qui se fait déjà qu’une réelle transformation. Ces mots nouveaux, refusés ou décriés par certains, répétés parfois comme des totems creux et vides par d’autres, sont-ils là pour remplacer une sociabilité enseignante disparue ?
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