Le revenu universel, rémunération du bien commun

samedi 2 mai 2015
par  SUD Éduc

Jean-Marie Harribey, maître de conférences en économie à l’université Montesquieu - Bordeaux 4, a publié Le 20 octobre sur lemonde.fr une tribune intitulée Le revenu d’existence ou l’impensé sur le travail, marquant son opposition au revenu universel ou revenu d’existence européen proné par Yves Zoberman dans une tribune publiée elle-même le 9 octobre.
Rappelons ici l’origine de cette idée, et en quoi elle permettrait de répondre à certains enjeux contemporains.
C’est dans les écrits du révolutionnaire américain et français Thomas Paine (1736-1809) que l’on trouve les origines du revenu universel. A cette époque, l’émergence d’une masse de prolétaires en Angleterre trouvait son origine dans le processus des « enclosures » qui s’était accéléré depuis le XVe siècle : les seigneurs s’étaient progressivement appropriés les terres communales, condamnant les paysans expropriés à la misère ou à la vente de leur force de travail à l’industrie capitaliste. Thomas Paine proposait en 1797 de taxer la rente procurée par la propriété de la terre et de redistribuer à tous sous forme d’une dotation universelle. Pour lui, la terre, bien commun, ne saurait être la propriété absolue de certains et une part de ses fruits devrait revenir à tous.
Aujourd’hui avec l’automatisation de plus en plus poussée des tâches, c’est à une nouvelle forme d’« enclosure« que nous assistons. Certes, une minorité de travailleurs très qualifiés tire profit de l’automatisation. Mais pour les autres, l’emploi se fait de plus en plus rare et ne garantit plus un revenu décent. L’automatisation menace directement la sécurité financière et l’intégration sociale procurées par l’emploi, tout comme la confiscation des terres menaçait directement la subsistance et l’intégration sociale du paysan au XVIIIe siècle.
Par ailleurs, dans ce processus d’automatisation, le « winner takes all » (le gagnant prend tout), si bien que l’on assiste à une concentration des profits au niveau de certaines multinationales. Leurs profits s’apparentent de plus en plus à des rentes de monopole, des rentes de situation héritée, comme celle du propriétaire foncier. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’automatisation, mais de faire en sorte qu’elle profite à tous. Dans la continuité de Thomas Paine, James Meade (« Prix Nobel« d’économie 1977) proposait la mise en place d’un revenu universel au nom du fait qu’une partie substantielle du patrimoine productif est issu d’un travail ancien et constitue à ce titre un héritage collectif.
Jean-Marie Harribey affirme que l’on ne peut distribuer de revenu sans l’associer à un travail, et qu’un travail ne peut être rémunéré que s’il passe par l’une des deux formes de validation sociale que sont le marché et la collectivité. Mais ce principe n’est plus pertinent aujourd’hui. Les citoyens sont à l’initiative d’innovations et de projets créateurs de richesse, marchande ou non, mais ni le marché ni le pouvoir politique ne permettent de les faire émerger. Un revenu universel permettrait de leur donner l’autonomie nécessaire pour lancer telle entreprise qu’aucune banque n’accepte de financer, tel projet associatif que la municipalité refuse de subventionner. Parmi ces innovations se trouvent les réponses aux enjeux écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés.
Il nous faut ajouter que, dans ces projets, émergent des formes de participation et de travail qui ne pourront jamais être rémunérées. Il s’agit notamment de cette économie collaborative, de ces projets collectifs auxquels chacun contribue sans attendre aucune contrepartie, et dont le logiciel libre constitue l’exemple emblématique. L’économie post-industrielle dans son ensemble s’appuie de plus en plus sur l’échange d’informations et de connaissances. De plus en plus d’entreprises parviennent à capter de la valeur sur cet échange gratuit de connaissance : pensons par exemple au développement du service après vente sur des forums collaboratifs où c’est un consommateur qui répond au problème d’un autre consommateur. Or les échanges de connaissance et d’information sont pour l’essentiel des échanges gratuits, et l’on aurait tort de chercher à les valider tous par une rémunération car cela ne ferait que freiner leur circulation. Il nous faut promouvoir les échanges gratuits de savoirs et l’économie collaborative en général, et c’est ce que favorise le revenu universel.
Ajoutons que le revenu universel, bien loin de remettre en question le travail, permet sa réinstitution en tant que source d’épanouissement et d’intégration sociale. En faisant émerger une multitude de projets marchands ou non-marchands, il multipliera les occasions pour le travailleur et le citoyen de s’investir dans des projets qu’il aura choisis, sans que le critère de rentabilité entre nécessairement en ligne de compte. Certes, le revenu universel ne suffira pas à répondre aux enjeux de notre siècle. Mais il permettra de donner aux individus les moyens de réinventer ce futur à la fois excitant et effrayant qui s’offre à eux.
Jean-Eric Hyafil, doctorant en économie à la Sorbonne, est membre fondateur du Mouvement français pour un revenu de base.