« Les recettes néolibérales ont mené le monde à la catastrophe : trop, c’est trop ! »

samedi 9 mai 2020
par  SUD Éduc

Le chercheur Demba Moussa Dembélé analyse les conséquences de la pandémie en Afrique. Et esquisse des solutions pour rompre avec les effets désastreux des politiques néolibérales dictées par les instances internationales.

Comment se déroule la crise du coronavirus au Sénégal, du point de vue sanitaire, mais aussi de ses conséquences économiques ?

Demba Moussa Dembélé : Le Sénégal est, comme la plupart des pays d’Afrique, touché par la pandémie. D’après les derniers chiffres du ministère de la Santé ici, on compte 265 cas infectés depuis l’apparition du virus, dont 138 sont considérés comme guéris aujourd’hui [l’entretien a été réalisé le 10 avril]. Il y a eu deux décès, dont Pape Diouf, l’ancien président de l’Olympique de Marseille, l’autre étant une femme de Dakar. Aujourd’hui, on a donc encore 125 personnes hospitalisées. Enfin, depuis trois semaines, nous sommes en période d’état d’urgence : le Parlement a voté les pleins pouvoirs au président Macky Sall pour y faire face. Plusieurs mesures ont été mises en place : un couvre-feu, depuis deux semaines, de 20 heures à 6 heures du matin dans tout le pays, maintenant prolongé jusqu’au 4 mai ; l’interdiction de se déplacer d’une région à une autre et toutes les frontières du pays fermées, comme les États voisins. Dans la journée, il est fortement demandé aux gens de rester chez eux, bien que ce ne soit pas obligatoire. Par contre, la plupart des marchés, toutes les écoles et universités sont fermés.

Justement, quelles sont les retombées économiques ?

Sur ce plan, les conséquences sont très dures car l’économie informelle domine ici par rapport à l’économie formelle : les petits entrepreneurs et commerçants, les travailleurs journaliers, les femmes qui vendent leurs produits dans la rue ou sur les marchés, tous sont en grande difficulté. Le PIB est ainsi affecté et l’économie en général connaît un fort ralentissement. Le chômage et la pauvreté ont commencé à croître fortement : beaucoup de gens se plaignent déjà de la perte de leurs revenus, certains ne pouvant plus manger à leur faim. Le président Macky Sall a annoncé que la croissance économique du pays devrait diminuer de 3 %, par rapport aux 7 % de hausse prévus avant la crise. D’autres économistes pensent même que la croissance pourrait ne pas dépasser 3 %, si ce n’est pire encore. Le gouvernement sénégalais a annoncé un plan de 1 000 milliards de francs CFA (1,5 milliard d’euros) pour aider les ménages affectés et les entreprises, petites et moyennes, et essayer de faire face aux retombées économiques. Toutefois le montant de ce plan dépend pour plus de 59 % de l’aide extérieure, c’est-à-dire de ceux que l’on appelle ici les « partenaires », bilatéraux et multilatéraux. Seulement 41 % environ proviendraient des ressources internes. Il est vrai que certaines entreprises privées ont été mobilisées et que certaines ont mis la main à la poche. Même la diaspora sénégalaise doit bénéficier de ce plan de soutien. Mais la situation du pays est extrêmement préoccupante, sur le plan sanitaire et sur le plan économique.

Vous évoquez la diaspora, qui est source d’importants transferts financiers vers le Sénégal. Avec la crise, ces transferts n’ont-ils pas déjà nettement baissé ?

Habituellement, ces transferts représentent entre 10 % et 12 % du PIB du pays, soit une part substantielle. Et énormément de familles dépendent de ces transferts, qu’ils proviennent de France, d’Allemagne, d’Italie, des États-Unis ou ailleurs. Or, depuis le début de la crise, ils connaissent une chute drastique, puisque beaucoup de gens de la diaspora ne travaillent plus.