Louis Guilloux, La maison du peuple. Pour une guerre des importances et des héritages

vendredi 13 novembre 2020
par  SUD Éduc

« Va-t’en, tu n’es pas des nôtres voilà ce que les bourgeois nous disent en permanence, mieux encore aujourd’hui qu’hier. Ils ont eu très peur, mais ça reviendra »

Ce texte peut être lu comme la poursuite d’un précédent publié dans lundimatin durant l’été 2019 et s’installant dans la perspective d’une guerre des héritages. Le premier entendait rendre visible une expropriation et un geste de reprise en actes par des Gilets Jaunes. Celui-ci peut se comprendre comme l’actualisation d’un autre geste nécessaire, l’installation des héritages dans des espaces de conflictualité – internes comme externes – où il serait question de défection et de soustraction à un gouvernement, d’égalité des intelligences et de politique des corps, d’échelles d’affrontement.

1. « Quand j’ai commencé à écrire La Maison du peuple – j’avais vingt-deux ans –, c’était un acte politique et c’était une nécessité de poser qui j’étais, d’où je venais, et quels étaient les miens. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu : et il n’en a pas eu depuis. » Acte politique qui, dans un même geste celui de l’écriture, vient poser une subjectivité, composer un assemblage d’hommes et de femmes singuliers sous la domination d’un même ennemi, penser une fracture entre un nous et un eux, et affirmer un tenir position c’est-à-dire la revendication d’une appartenance à l’un des camps en présence [1].

1.1. C’est de Louis Guilloux (1899-1980) dont il s’agit – découvert d’abord à travers sa maison et son bureau de Saint-Brieuc par la coïncidence des rencontres [2] – et de son premier roman publié en 1927. Un écrivain qui tient position et qui, revenant sur la question en juin 1978, fait de la « condition prolétarienne » une ligne qui court dans tous ses livres et les relie, condition définie par l’expulsion ou l’impossibilité d’un monde commun, soit un rapport social et un geste, la production d’un écart ou d’un en-dehors, l’assignation à sa place et une conflictualité. « Va-t’en, tu n’es pas des nôtres voilà ce que les bourgeois nous disent en permanence, mieux encore aujourd’hui qu’hier. Ils ont eu très peur, mais ça reviendra » [3]. Tu n’es pas des nôtres, plutôt que du fortuit, le départage relève du structurel et la formule pose une société qui fonctionne à l’exclusion et au mépris sans pour autant que Louis Guilloux ne puisse être rangé dans la case du paradigme postérieur de la « reconnaissance » parfaitement compatible avec la continuité d’un ordre social.

1.2. Des lectures de l’œuvre font – tentent de faire – de La Maison du peuple un roman purement autobiographique – l’enfance de l’auteur –, un texte simplement briochin – les lieux, l’aventure de la Maison du Peuple de Saint Brieuc– et un outil documentaire i.e. un véhicule de l’information sur des mondes sociaux et historiques traversés par l’auteur et aujourd’hui disparus. Par cela l’écrivain se voit embarqué dans des entreprises de patrimonialisation où l’affirmation de sa solidarité avec « le peuple breton » voit ce dernier réduit à quelques brodeuses de carte postale habillées de costumes folkloriques. A voir cette place qui lui est assignée, parallèle peut être fait avec ce qu’écrivait Xavier Grall, en 1977, de l’auteur du Cheval d’orgueil : « un sacristain sonnant l’office des morts en terre armoricaine » [4]. Alors, qu’en 1972, Louis Guilloux participe à certaines manifestations des ouvrières et ouvriers du Joint Français dont il soutient la grève. Que plus tôt, après la bataille d’Ovedio, il conduira des actions de solidarité avec des réfugiés espagnols, certains stockés dans une usine désaffectée de fond de vallée humide. « J’étais responsable pour le Secours rouge dans mon pays. » En 1952, à propos d’un meeting salle Wagram à Paris où se trouvent nombre de ces réfugiés, il écrit se sentir parfaitement des leurs…

Autre peuple qui nous éloigne de la sacristie patrimoniale et de l’ajustement de l’œuvre à l’hégémonie de l’ordre marchand.