Macron a déjà perdu 2022... pour le pire ou le meilleur

dimanche 5 janvier 2020
par  SUD Éduc

3 janv. 2020 Par Thomas Coutrot Blog : Le blog de thomas coutrot

La radicalisation autoritaire du pouvoir, qui impose un affrontement décisif au mouvement social, aura inévitablement des conséquences politiques majeures : une victoire de Macron sur la société renforcerait considérablement les chances de Le Pen à l’élection présidentielle de 2022. A l’inverse sa défaite en janvier 2020 pourrait rebattre les cartes et ouvrir de nouvelles perspectives à gauche.

Le doute n’est plus permis, c’est une guerre que mène Emmanuel Macron contre l’ensemble des compromis sociaux qui faisaient tenir la société française malgré les injustices et les inégalités. Pour conformer le pays à sa vision néo-darwiniste du monde – où des individus dotés de divers capitaux et déliés de tout enracinement donnent le meilleur d’eux-mêmes au service de « premiers de cordée » inspirés – , il ne fera preuve « d’aucune forme de faiblesse ». Après le big-bang du droit du travail, de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage, c’est l’unification des régimes de retraites qui doit favoriser la mobilité de la main-d’oeuvre sur un marché parfaitement flexible, où les travailleurs n’auront plus de réticences à « traverser la rue » pour occuper les emplois disponibles quelle que soit leur qualité.

Le mépris, l’humiliation, la répression infligées à « ceux qui ne sont rien », Gilets Jaunes, marcheurs pour le climat ou syndicalistes, ont bien sûr accru la colère populaire contre ces élites coupées du pays réel. La politique menée par Emmanuel Macron fragilise considérablement ses chances de l’emporter dans la confrontation qu’il a lui-même annoncée avec Marine Le Pen en mai 2022.

Considérons en effet les raisons qui en 2017, ont conduit nombre d’électeurs des couches populaires et moyennes à voter Macron malgré leur aversion pour son arrogance et ses projets. La crainte d’un pouvoir autoritaire ? Sa brutalité inédite face aux mouvements sociaux, l’impunité explicitement garantie aux violences policières (« un mot inacceptable dans un État de droit ») ont largement effacé la frontière entre autoritarisme et néolibéralisme. Le traitement indigne des étrangers ? L’envol revendiqué des expulsions d’étrangers sans papiers, le durcissement du discours sur l’immigration, la réforme de l’aide médicale d’État contre un supposé tourisme médical, ont là aussi réduit les différences. Le négationnisme écologique ? Macron a le verbe haut sur la menace climatique mais son inaction a été dénoncée par Nicolas Hulot lui-même.

Le fossé entre Le Pen et Macron s’est aussi réduit du fait de la présidente du RN. L’europhobie et le repli national ? Elle a explicitement renoncé à sortir de l’euro et de l’Union européenne. Le conservatisme sociétal ? Elle refuse de manifester contre le projet de loi sur la PMA, un problème jugé par elle non pas moral mais juridique. Le supposé contraste entre « progressisme » et « nationalisme » se révèle bien ténu : c’est en pratique le libéralisme autoritaire, dont Grégoire Chamayou a retracé la généalogie1, qui sert de boussole commune, quoiqu’ils en disent, à Macron, Trump, Johnson ... et Le Pen.

Dans ce contexte, la confrontation imposée par le pouvoir à l’ensemble des syndicats sur la question des retraites ne saurait surprendre. La CGT et ses alliés dénonçaient le fait, peu discutable, que les femmes, les salarié.es précaires ou aux carrières plates, les enseignant.es allaient perdre gros dans un système de retraite à points. Le gouvernement s’offre en plus un affrontement avec la CFDT en allongeant à nouveau la durée de cotisation sans aucune mesure pour compenser les inégalités d’espérance de vie (6 ans entre cadres et ouvriers) liées à la pénibilité du travail, dont il ne veut pas entendre parler. À rebours de toute prétention à la justice sociale ou au compromis négocié, le but de la réforme est d’imposer un verrou bloquant définitivement à 14 % la part des retraites dans le PIB, d’ouvrir par conséquent un champ d’action inédit aux retraites par capitalisation, et surtout de briser définitivement les résistances à ses projets. Le choix d’exempter les policiers et militaires est alors bien compréhensible, tant leur fidélité est essentielle dans une telle épreuve de force.

Face à cette radicalisation autoritaire du néolibéralisme, qu’on observe partout dans le monde, l’émergence d’une alternative à gauche est une urgence absolue. Or les réponses proposées à ce jour pour 2022 risquent fort de se révéler inopérantes. Le populisme colérique et solitaire de Jean-Luc Mélenchon a montré ses limites ; l’écologie centriste de Yannick Jadot, qui veut séduire les déçus du macronisme, n’offre guère de chances d’atteindre le second tour, et encore moins de pouvoir gouverner utilement en cas de victoire. Mais le face-à-face annoncé avec Le Pen pourrait se révéler très risqué pour Macron, tant il a miné les digues qui contenaient le vote d’extrême-droite et soutenaient le « front républicain ». Combien d’électeurs de centre-gauche ou de gauche se déplaceront-ils pour voter Macron au second tour ? En cas d’échec du mouvement social, le ralliement à Macron de la droite traditionnelle, aujourd’hui réduite à peau de chagrin, risque de ne pas suffire pour éviter qu’un vote de désespoir et une abstention massive ne propulsent Le Pen à l’Élysée. C’est-dire l’importance, en ce mois de janvier 2020, de réussir à rassembler les forces en lutte contre l’injustice sociale, le mépris de classe et l’irresponsabilité écologique pour bloquer ces sombres scénarios. Seule cette insurrection sociale et citoyenne pourra ouvrir une nouvelle perspective politique à gauche. Une occasion à ne pas laisser passer mais qui va exiger de nous courage et créativité... Bien sûr beaucoup de choses peuvent encore se passer d’ici 2022 ; mais à ce stade les chances de Macron de se succéder semblent bien compromises, pour le pire ou pour le meilleur.

1 La société ingouvernable, La Fabrique, 2018