« On dit stop ! » Des dizaines de milliers d’étudiants et travailleurs des facs mobilisés

vendredi 6 mars 2020
par  SUD Éduc

Le 5 mars était une journée attendue dans l’enseignement supérieur. Une date de mobilisation contre la LPPR préparée depuis longtemps, autour de laquelle se sont cristallisées d’autres colères : contre la réforme des retraites, le 49.3, la précarité en général.
« On dit stop ! » Des dizaines de milliers d’étudiants et travailleurs des facs mobilisés

Les organisateurs de la manifestation annoncent plus de 25 000 participants à Paris. Dans de nombreuses autres villes – Lyon, Toulouse, Lille… – les étudiants et travailleurs de l’université (BIATSS, enseignants et chercheurs) mobilisés étaient plusieurs milliers à exprimer leur colère.

« Le jour où la recherche et l’université s’arrêtent » appelé par la coordination des Facs et Labos en lutte marque le retour dans la bataille d’un secteur particulier, où les contradictions et la colère sont profondes. En première ligne, une fois n’est pas coutume, les enseignants-chercheurs et les chargés de cours précaires. « Moi je suis mobilisé contre la réforme des retraites depuis le 5 décembre, expliquait Nicolas, doctorant en géographie à Marne-la-Vallée, au micro de Révolution Permanente. Mais là on a réussi à créer une mobilisation assez sérieuse dans notre fac, notamment parce que la LPPR qui nous tombe dessus a enfin fait bouger l’enseignement supérieur ».

Et en effet, à travers différentes modalités d’action, de nombreuses facs ont pris part à la mobilisation ce jeudi. Dès le début de matinée, plusieurs campus étaient bloqués, comme Sciences Po Lille et Paris, Paris XIII, Aix-Marseille… Dans la manifestation parisienne, de nombreux secteurs et de nombreuses disciplines étaient représentés. Par exemple les étudiants en architecture, particulièrement visibles avec leur construction représentant « le ministère, entreprise de démolition ».

De la colère des universitaires à la lutte contre Macron et son monde

Au sein même de l’université, les raisons de se mobiliser sont nombreuses, et en particulier une précarité croissante, à tous les niveaux, comme est venu le rappeler la tragique tentative de suicide d’Anas à Lyon en novembre dernier, mais également le recours croissant aux contractuels pour assurer le bon fonctionnement de l’université, l’instauration d’un « CDI » de projet dans la recherche par la LPPR… « Moi, en tant qu’étudiante, je me mobilise parce qu’on ne le sait pas forcément mais on est dans une situation précaire » témoignait cette après-midi Mélissa, étudiante à l’ENSA.

Même combat du côté des travailleurs, comme l’explique Julien, salarié administratif contractuel au Mirail : « Il faut savoir que par exemple au Mirail, à Toulouse, presque un enseignant sur deux est contractuel, précaire, payé seulement deux fois par an ». A l’échelle nationale, en licence, ce sont 70 % des enseignements qui sont effectués par des travailleurs précaires. Du côté des travailleurs administratifs, 40 % d’entre eux sont en contrat précaire.

Mais pour beaucoup des étudiants, enseignants, chercheurs et BIATSS mobilisés ce jeudi, le combat ne se cantonne pas aux murs de l’université. Ce n’est pas seulement contre la LPPR qu’ils se mobilisent, mais contre l’ensemble du projet de société que tente d’imposer le gouvernement, à commencer par la retraite à points. Et ces revendications figuraient d’ores et déjà dans l’appel issu de la dernière coordination des facs et labos en lutte, d’où a émergé cette date du 5 mars, alors que l’intersyndicale se contente d’appeler au 31 mars, malgré le 49.3 et le passage en force de la réforme :

« Depuis le 5 décembre, aux côtés de bien d’autres secteurs, nous luttons contre la casse de notre système de retraites, dont on peut prévoir des effets particulièrement délétères dans le secteur de l’enseignement, de la maternelle à l’université.
Le gouvernement, lui, reste indifférent à nos revendications légitimes et maintient sa volonté de renforcer la précarité, les inégalités entre établissements et la compétition généralisée à l’université, bien qu’il soit de plus en plus difficile pour lui de tenir son agenda, comme le prouvent les divers reports de présentation de la future LPPR.
Sa seule réponse à notre mobilisation est la même que celle faite aux autres mouvements sociaux : une répression de plus en plus brutale. »

Une volonté de jonction avec d’autres secteurs et d’embrasser des revendications plus larges qui s’est également fait ressentir à l’approche du 8 mars, dans un contexte de polarisation croissante autour des questions féministes après le scandale des césars et de l’omerta sur les violences sexuelles dans le milieu du cinéma. C’est notamment ce qu’illustrait la Maîtresse de conférence Marie Sonnette, membre du comité de mobilisation de Facs et Labos en lutte, en clamant : « On dit stop ! On se lève et on se casse ! ». Une phrase empruntée à la tribune de Virginie Despentes suite à la cérémonie des Césars de laquelle sont parties entre autres l’actrice Adèle Haenel et l’humoriste Florence Foresti, après que Polanski se soit fait récompenser.

Des ponts qui se tissent entre différentes luttes et qui font état d’une colère généralisée contre un système qui n’a plus rien à offrir d’autre qu’un accroissement des violences, qu’elles soient sociales, sexuelles ou policières.
Facs mortes le 5 mars… Et après ?

Mais ce qui se joue aussi dans ce mouvement qui secoue le milieu universitaire, c’est un débat autour des modalités d’action. « C’est compliqué dans l’enseignement supérieur et la recherche, les gens n’ont pas l’impression de travailler et ont l’impression de ne rien bloquer quand ils s’arrêtent de bosser, explique Nicolas, doctorant en géographie. Nous, notre combat a été de faire rentrer les gens dans la lutte, et pour ça, pour se libérer du temps, le meilleur moyen ça reste la grève. Quand les profs ne sont pas en grève, qu’ils continuent à donner des cours, ça empêche tous les étudiants de notre fac de se mobiliser. »

Et en effet, ce qu’a démontré la bataille des retraites engagé le 5 décembre, c’est que les journées d’action isolées sont loin d’être suffisantes pour instaurer un rapport de force face à Macron, et que le secteur des transports, aussi stratégique soit-il, en restant seul en grève reconductible, n’a pas réussi à faire plier le gouvernement. Il est donc grand temps que d’autres secteurs les imitent pour instaurer un véritable rapport de forces, à commencer par le milieu universitaire, depuis les enseignants-chercheurs jusqu’aux étudiants. Une entrée en scène massive de la jeunesse scolarisée au côté des enseignants permettrait d’amener un nouveau souffle et une radicalité, cocktail nécessaire à la victoire contre Macron et son monde.