Petit lexique de recherche post-médiévale à l’usage du gouvernement Macron

dimanche 4 avril 2021
par  SUD Éduc

Le gouvernement souffle ses répliques à l’Action Française. L’Unef est considérée comme « fasciste » par les sénateurs. Mme Vidal traite les universitaires comme des terroristes : la bêtise a un pouvoir hiérarchique sur la pensée, l’Ordre cherche à mettre au pas la complexité du réel, le Pouvoir cherche à écraser la réflexion critique – comme si la BAC soudain se piquait de versification.

Quand le gouvernement souffle ses répliques à l’Action Française. Quand un syndicat étudiant est qualifié de « fasciste » par le ministre de l’Éducation Nationale. Quand les sénateurs proscrivent un mode d’organisation interne des militant.e.s. Quand la ministre de l’Enseignement Supérieur associe tout un pan de la recherche universitaire à du terrorisme.

Bref, quand la bêtise a un pouvoir hiérarchique sur la pensée, c’est l’Ordre cherchant à mettre au pas la complexité du réel, c’est le Pouvoir cherchant à écraser la réflexion critique – comme si la BAC soudain se piquait de versification.

Davis, Angela : Non, Angela Davis n’est pas que le nom d’un lycée du 93 où une bande d’enseignants islamo-gauchistes (déjà) refusaient d’exclure les élèves musulmanes. C’est le nom d’une militante africaine-américaine, philosophe marxiste luttant de longue date contre l’oppression raciale. Dans Femmes, race et classe, elle pose les jalons d’une grille d’analyse qui quelques années plus tard sera nommée par la juriste Kimberlé Crenshaw « intersectionnalité » : relisant l’Histoire américaine d’un point de vue subalterne, A. Davis rappelle les oublis et les trahisons des féministes blanches, le racisme qui guida leurs choix tactiques. Comme bell hooks qui publie la même année Ne suis-je pas une femme ?, Angela Davis démontre que la conception habituelle de la féminité est racialement marquée, et que le sujet traditionnel du féminisme est blanc. Le Black Feminism permet ainsi de dénoncer la construction raciale du genre, mais aussi la conception genrée de la race. En termes tactiques, cela implique des alliances temporaires, des moments de réflexion et même de mobilisation propres. Parfois les personnes perçues comme blanches et celles que la société a racisées mènent une mobilisation commune ; parfois ces dernières doivent se rencontrer, débattre, combattre, en leur nom propre et sans être invisibilisées par les faux universaux. Une forme de bienveillance, d’autogestion, d’empowerment, qui vous terrifie tant, messieurs les sénateurs, que vous légiférez aujourd’hui même pour l’interdire.

Fascisme : Lorsque un groupuscule d’extrême-droite tente d’entrer dans le Conseil Régional d’Occitanie, vous vous permettez, monsieur Macron, de donner votre définition de l’extrême droite : « action violente, volonté de bâillonner la démocratie et de diviser les Français ». En vous entendant j’ai des images de violences policières qui tournent dans ma tête, de manifs réprimées, de corps de métier montrés du doigt et sacrifiés. Je ne vois pas l’Action Française, je vois votre police. Pas Maurras, mais le préfet Lallement. Quand on sait que votre ministre de l’Éducation Nationale a associé un syndicat étudiant au fascisme, on se dit qu’il est temps de rectifier deux-trois évidences. Le fascisme est un régime politique. Il peut naître brusquement, en un coup d’État spectaculaire. Ou il peut sobrement s’installer, matin brun après matin brun, dans l’indifférence générale. Il repose sur une répression féroce, un contrôle armé de la population et une surveillance généralisée – la Sécurité Globale dont vous rêvez. Un homme se prétendant providentiel suspend les peuples à ses lèvres, et de diktat en diktat édicte de doctes tactiques, interdisant les rues ou les assemblées, haïssant les communs et les collectifs, gouvernant jusqu’à l’intime de ses sujets, seul il dirige, écrase et soumet. Violence et virilisme, l’État fasciste est un patriarche ivre de pouvoir, jouissant de dominer. Dois-je continuer mon portrait ? Le miroir à vous tendu éclaire-t-il vos indignes dénis ? Cesserez-vous demain d’accuser vos adversaires de vos propres turpitudes ?

Genre, théories du : En 2014 déjà, les lobbies d’extrême droite se mêlaient de ce que nous enseignions à l’école publique. Croisade inter-confessionnelle contre les prétendues « théories du genre ». Même unification artificielle d’une pensée multiple et complexe, même agitation ridicule du spectre de l’invasion américaine, même désignation de l’ennemi enseignant, soupçonné déjà de faire de son estrade une chaire à sermons, un perchoir de meeting. Même accusation de mettre à bas un socle sacré – hier la famille, aujourd’hui la nation. En 2015, les ABCD de l’Egalité sont abandonnés et vous qui prétendez idolâtrer la Laïcité, monsieur Blanquer, vous vous félicitez de cette victoire idéologique des groupes de pression fondamentalistes – Tartuffe aujourd’hui est républicain, quand ça l’arrange. Cependant, comme pour beaucoup de vos médiatiques émotions, votre satisfaction est vaine. En effet cette idée toute simple, selon laquelle l’identité de genre est le résultat d’une construction sociale ayant finalement peu de rapport avec la possession d’un pénis ou d’un vagin, cette idée a convaincu. Les universitaires, mais aussi la jeunesse. Et aujourd’hui, mes élèves de Seconde savent donner leur propre définition du terme « genre », mieux que Marlène Schiappa ne saurait le faire probablement, ils refusent de plus en plus les assignations, les binarités et les injonctions. Savent ce qu’est un stéréotype sexiste. Connaissant l’écriture inclusive et parfois la pratiquent. Refusent d’entrer dans les moules anciens, de se laisser enfermer, définir, classer, dominer. Méprisent les homophobes et dénoncent la transphobie. Alors vous pouvez considérer que les enseignants ont trahi et lavé les cerveaux de la jeunesse. Ou vous pouvez humblement reconnaître que vous avez perdu ce combat d’idées. Comme vous allez perdre les suivants.