Plaisir d’offrir, joie de recevoir : à propos de l’intervention de M. Macron le 1er mai

mercredi 6 mai 2020
par  SUD Éduc

Brigade d’intervention linguistique
paru dans lundimatin#241, le 4 mai 2020

C’est toutes sirènes dehors que nous procédions voilà un peu plus d’un an à une première intervention linguistique d’urgence pour rétablir l’ordre et le sens des mots, à l’occasion d’une bien audacieuse sortie gouvernementale répondant à la fallacieuse appellation de Grand Débat (Big Debate ?).

Après un déploiement argumentatif foudroyant, force était de constater qu’il n’y avait là rien de grand ni de débattant, encore moins de débattu, mais que nous étions face à une vaste enquête zoologique menée sur les plus dominées et démunies d’entre nous, au profit d’une classe dominante et dirigeante composée d’imposteurs aveugles ayant peur d’être des ploucs ( experts de plateaux télévisés, membres du gouvernement, membres des forces de l’ordre) qui n’en finissaient pas de mépriser, juger et matraquer à tour de bras pour tenter de se distinguer de l’Autre, Autre bien nécessaire pour passer la serpillière ou brancher un respirateur, mais qu’il ne fallait oh grand jamais ! voir, entendre, reconnaître.

Et il faut bien dire que le gouvernement travaille un certain sens – un sens certain, même – de la continuité facétieuse, et sait se rappeler à notre souvenir en des dates anniversaires fort à-propos pour une intervention non moins urgente de notre part que la première.

Ainsi apprenons-nous par voie de vidéo-tweet présidentiel que M. Macron, le teint hâlé et le costume azuré, nous envoie « ses pensées » en ce jour du premier mai.

Pensées que nous supposons pour les travailleuses et travailleurs qu’il caresse opportunément (ganté, de loin et pas trop longtemps) dans le sens du poil tel son fidèle Nemo trouvé à la SPA avant de poursuivre et de lancer ce cri du cœur dans ce style simple et léger qui est le sien, ah oui, « […] le travail, célébré en ce jour, grâce auquel la Nation tient. »

Voilà donc confirmé par un faisceau d’indices un lourd pressentiment concernant les HSE (Hautes Sphères de l’État) : l’amour indéfectible de l’ordre et des valeurs, caractérisé dans ce gouvernement par un inéluctable et bien reconnaissable fumet pétainiste. Pas de doute, sur les pas du maréchal-nous-voilààà !, la fête est finie et se dessinent deux des trois sommets du triangle équilatéral travail-famille-patrie.

Qu’est-ce à dire ? Serait-ce un lapsus, le surgissement d’un inconscient prompt à jaillir à chaque syllabe, le signe d’une ivresse certaine, ou tout simplement une petite bourde, en période de coup de mou ?

Que nenni ! L’hypothèse d’une faiblesse si elle est la plus facile, n’en est pas moins la première à écarter. Poursuivons plutôt, et notons : bien engagé sur sa pente maréchalesque le président virevolte, s’emballe et se languit de ces premiers mai « joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre Nation. »

« Ach ! s’exclame Lallement, A moi auzi ils me monquent ces premiers mai choyeux et chamailleurs ; l’exercice physique on plein air qui fait courir les petits manifeztants sous le bruit des lanzeurs de balles de defonze ! »

Et oui, on ne saurait trop rappeler que tout est une question de point de vue, et qu’à la stupeur et aux tremblements des travailleuses et travailleurs lorsque leur reviennent à l’esprit les premiers mai passés, répond la joie nostalgique la larme à l’œil de tous les imposteurs. Et c’est là que tout le sel de l’à-propos calendaire présidentiel nous éblouit de son clin-d’œil indécent : au premier rang des imposteurs du 1° mai 2018, rappelons la présence d’aucun qui, affublé d’un petit brassard de la police, dûment casqué, paré de tous les atours des forces de l’ordre, frappa, cogna, étrangla, traîna et frappa encore place de la Contrescarpe à Paris.

Alors immédiatement de l’ivresse supposée ou du coup de mou non seulement l’hypothèse n’est plus envisageable, mais surtout plus possible : tel le petit poucet le président sème les indices de son hommage discret aux fidèles licteurs qui sauront se reconnaître.

Lallement, sous cape : « Une petite boutade préssidentielle ! »

Du lapsus envisagé tomberions-nous à nouveau sur un tristement banal cas de MP, Mépris Présidentiel ? Les chamailleries ou l’art de la litote comme ultime provocation ? La nostalgie de la matraque, gant jeté à la face mutilée des manifestantes et manifestants ?

Ce serait oublier à qui s’adresse ce message présidentiel : non pas directement à ces partisans-licteurs, mais à nous, les Autres. L’analyse alors ne nous conduit qu’au constat suivant : de la litote, voilà que nous passons à l’antiphrase.

Et indéniablement, se dessine l’ombre de cette figure de style à la mode sicilienne qui condamne à mort en souhaitant la vie ; plane ici le spectre du parrain qui lançait au visage du président du tribunal du Maxi-Procès de la mafia après sa condamnation à la prison à perpétuité « Je vous souhaite de vivre, de bien vivre, Monsieur, jusqu’à la fin de ce procès. » Et nul ne s’y trompa dans la salle.

Aussi, après cet instructif voyage au pays des figures de style du tweet présidentiel nous savons que :

En fait de vœux, c’est une menace

Le premier mai ne célèbre toujours pas le travail

Et nous rappelons grâce à Zebda qu’il n’y aura pas d’arrangement (pas de grimace), et que la lutte continue

La Brigade d’Intervention Linguistique