Prisonniers dans le Détroit du Mozambique

mercredi 22 avril 2020
par  SUD Éduc

21 avr. 2020 Par Marcel Trichard Blog : Le blog de Marcel Trichard

Professeur de l’Éducation nationale à Mamoudzou, j’ai pu être le témoin en première ligne de la crise qui touche Mayotte, 101e département français.

À quelques dizaines de mètres en contrebas, au bord d’une petite desserte, deux mahorais ont la charge d’un petit troupeau de bovins au beau milieu d’habitats en tôle. À seulement un kilomètre de la nouvelle mairie de l’agglomération, du marché couvert et des rues commerçantes, huit génisses et un zébu mâle traversent la rue pour rejoindre leur pâturage, une zone non cultivée située sur le flanc d’une colline où l’herbe abonde pendant la saison des pluies. De temps en temps, deux ou trois veaux partent à l’aventure, traînant leur corde bien nouée autour du cou et on peut les voir brouter les hautes herbes tendres, les jeunes feuilles de petits buissons d’un côté de la route ou de l’autre au gré de leur fantaisie malgré le passage des voitures et des camions. Rien ne pouvait empêcher ces hommes de nourrir leurs animaux, il n’y avait que ces éleveurs à témoigner d’une activité humaine dans un secteur plongé dans un état profond de somnolence inhabituelle. Mayotte a la fierté d’être entourée d’un des plus grands lagons au monde. L’île possède une faune marine riche mais aujourd’hui les bateaux chargés de plongeurs, de curieux avides d’observer les baleines ne sillonnent plus les eaux tranquilles de ces espaces marins si attrayants.

Jusqu’à la mi-mars, le coronavirus n’était pas présent ici, la situation avait brusquement changé avec l’arrivée de voyageurs en provenance de la métropole après une période de congés scolaires. Certains passagers revenaient de l’Oise, département sévèrement touché et la mise en oeuvre de moyens conséquents s’avérait nécessaire dès leur arrivée à l’aéroport. Les choses allaient suivre leur cours, un foyer d’infection intra-familial était alors repéré, un policier avait infecté ses collègues, ce milieu professionnel ayant un fort contact avec la population était atteint tout comme le personnel soignant largement contaminé, le non-respect des mesures de distanciation sociale avait fait le reste. Le décret relatif à la sûreté sanitaire avait conduit à la fermeture de l’aéroport, des spots télévisés véhiculent les consignes à respecter au quotidien, la tâche était titanesque pour essayer de ralentir la propagation de ce fléau mondial.

En Guadeloupe, on avait vu aux informations télévisées des touristes qui avaient été rapatriés à la même époque, un peu en catastrophe certes mais enfin ils étaient bien partis. A Wallis et Futuna des vols sont mis en place pour rapatrier les non résidents à partir du 10 avril. A Mayotte cependant aucune initiative de ce type n’avait et mise en place, le couperet était tombé brutalement. Plus tard la ministre des outre-mer, Mme Girardin, annonçait un partenariat avec Air Austral, la seule compagnie de l’île, afin d’acheminer nourriture, matériel médical et médicaments.

Le covid-19 est arrivé à la mi-mars par avion de la métropole, une belle souche en direct de l’oise et pour être civique on pourrait dire qu’il manquait presque le comité d’accueil, la musique, les danseurs et les colliers de fleurs pour lui dire « karibu », bienvenue, tellement l’impréparation était flagrante.

La contamination pouvait alors s’installer avec 3 « clusters » rapidement identifiés ; un milieu familial, les forces de l’ordre et le personnel soignant. Les mesures de confinement ont suivi, les Mahorais ont d’abord été sceptiques, pour eu il s’agissait avant tout d’une affaire de « Mzungus », les blancs du territoire. Ces musulmans pieux plaçaient avant tout leur confiance en Dieu avant les autorités corrompues et ayant déjà la dengue qui sévissait sur le sol que pouvait justifier tant de bruit autour d’un virus qui n’avait pas encore fait de victimes ?

Quelques mégaphones circulaient dans les quartiers pour rappeler les règles mais leur message ne retentissait pas aussi souvent que l’appel à la prière alors la télé prenait le relai. Très vite le constat tombait, la très forte chaleur en cette saison des pluies, les habitats insalubres et les atavismes sociaux rendraient la tâche titanesque ce que les autorités semblaient minimiser par leurs efforts tièdes. A pâques environ, 100 cas étaient déclarés officiellement et 3 décès enregistrés. Tout le monde restait dans l’expectative.

Le préfet en bon soldat de Paris avait appliqué le décret du 23 mars et ceci dès le 27 mars avec la fermeture totale de l’aéroport aux vols commerciaux sans aucune information préalable à la population. Air Austral était cloué au sol jusqu’à l’annonce d’un partenariat avec la compagnie pour le transfert de fret, personnel soignant et militaire. Si le rapatriement des non résidents d’outre mer avait été organisé partout ailleurs des Antilles au pacifique, l’île de la lune et ses habitants ont été brutalement coupés de tout sans prévenir.

Le droit fondamental de libre circulation a été tout simplement bafoué, une inégalité de traitement des citoyens français présents à Mayotte est apparue clairement comme s’ils ne méritaient pas la même considération qu’ailleurs. Ils sont alors retenus prisonniers dans leur propre pays. L’avion présidentiel a bien posé son train d’atterrissage sur le tarmac de Dzaoudzi, non pas seulement pour apporter quelques masques mais davantage pour fournir l’argent nécessaire au versement des prestations sociales en liquides dans un but d’acheter la paix sociale sur une île en proie à des inégalités sociales criantes. Le non versement de ces prestations dans les temps aurait certainement mis le feu aux poudres chez une population maintenue sous perfusion faute de pouvoir leur offrir les mêmes droits de réussite qu’en métropole. Au retour la soixantaine de place de l’avion présidentielle restent inoccupées. Jamais personne n’avait pensé les offrir à ceux oubliés de la république laissés sans revenus, sans emploi et loin de leurs familles sur cette île alors qu’ils étaient encore sains et saufs… mais pour encore combien de temps ?

Des foules compactes se sont rassemblées devant les bureaux de poste à Mamoudzou début avril pour le versement de diverses allocations et prestations. La dernière distribution de 6000 colis alimentaires à Dembéni, diffusée sur les chaînes de télévisions locale, à prouvé le manque cruel d’organisation des autorités et l’absence de respect des règles de confinement et de distanciation sociale. Ces pauvres femmes envoyées par leurs maris ont dû se ruer sur les camions gardés par l’armée afin de pouvoir obtenir un des lourds colis. Plusieurs semaines après la mise en place du confinement, imaginez un instant que ces 6 000 femmes sont aujourd’hui contaminées. Les efforts mis en place jusqu’alors sont donc réduits à néant par cette faute des autorités.

Mayotte a hélas toujours été gérée par des fonctionnaires dépassés par le contexte invraisemblable de ce territoire. Une situation même favorisée par des responsables politiques soucieux de récupérer des suffrages Mahorais. C’était le cas de M Hollande élu en partie grâce aux ultramarins, M Sarkozy avait lui aussi essayé cette stratégie avant ayant gracieusement accordé la départementalisation alors que les conditions sur place ne s’y prêtaient nullement. La moitié de cette population est composée de comoriens à qui on a ouvert les portes de l’Espace Schengen. Les dégâts environnementaux sont considérables, le foncier pose encore problème, la maîtrise du français est loin d’être la norme, l’immigration n’est pas maitrisée, cette décision était à l’évidence prématurée.

Une classe moyenne a plusieurs étages a raflé la mise, l’argent a coulé à flot et ces nouveaux nantis s’affichent avec des signes ostentatoires de réussites. Les voitures rutilantes sillonnent les rues tandis que le reste de la population patauge dans la précarité avec des jeunes laissés pour compte.

M Macron n’a pas pu résister à faire une visite promotionnelle après les bons résultats du Rassemblement National. Ce vrai-faux paternalisme de nos dirigeants, cette attitude qui rappelle un néo-colonialisme à la française est déguisée sous les oripeaux d’une démocratie parlementaire qui achète la paix sociale et tous les procédés sont bons pour cacher le délitement local et l’absence de mise en place de moyens sans aucun recul de nos élites parisiennes qui préfèrent rire des kwassa kwassa et du drame humain qui se joue sur ce territoire.

La polygamie vient d’être supprimée mais les cadis, autorités religieuses réglant les affaires juridiques liées aux préceptes de l’islam, ayant perdus leurs fonctions ont rejoints la cohorte de cette foule immense de médiateurs sociaux à qui l’on fait appel avant que les tensions sociales soient trop fortes.

Notre pays qui déborde d’initiatives individuelles, à défaut de solutions étatiques, avec des gens courageux qui ne demandent qu’à servir et vivre dignement dans leur nation se demandent aujourd’hui ce qui, au plus haut sommet de l’Etat, empêche le bon sens.

Des initiatives de mobilisation citoyennes appellent à faire respecter le droit de tous à rejoindre sa résidence et de quitter le territoire Mahorais comme c’est le cas partout ailleurs. La Préfecture ne répond plus aux citoyens, la juridiction administrative également saisie, en concertation avec le préfet de l’île, refuse de voir que Mayotte est désormais une exception illégale à la règle générale. Tandis que le ministère des affaires étrangères œuvre de toute ses forces pour rapatrier les citoyens français tout azimut quoi qu’il en coûte qu’en est-il pour les français non infectés prisonniers de l’île ?