Quand le coronavirus s’attaque aussi aux libertés publiques

mercredi 15 avril 2020
par  SUD Éduc

Quand le coronavirus s’attaque aussi aux libertés publiques

L’instauration de « l’état d’urgence sanitaire » a été, globalement, approuvé, tout comme les contrôles de confinement qu’il instaure. Mais l’encadrement de ces dispositions et leurs suites interrogent.

Parfois nous renonçons à nos libertés. Pour faire face à une menace imminente qui représente un risque plus grand que la perte momentanée de certains droits fondamentaux. Mais cela ne doit pas durer, préviennent juristes et associations.

Après la promulgation de la loi sur « l’état d’urgence sanitaire », destinée à lutter contre le coronavirus, la France est à nouveau entrée dans un régime d’exception qui prévoit, pour encadrer le confinement, des mesures limitant la liberté d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre.
« Pouvoirs exorbitants »

Des associations, comme la Ligue des droits de l’Homme (LDH), des parlementaires de gauche et des magistrats ont immédiatement alerté sur les « pouvoirs exorbitants » confiés à l’exécutif et appelé à la « stricte limitation » dans le temps de ces mesures. Ce nouveau régime, bâti sur le modèle de l’état d’urgence prévu par une loi de 1955 – instauré après les attentats jihadistes de 2015 – est déclaré pour une durée de deux mois. Sa prorogation devra être autorisée par une nouvelle loi.

« Dans le cadre républicain, il y a déjà eu des restrictions importantes de libertés pendant les guerres ou sous l’état d’urgence, ou pour lutter contre le choléra ou la grippe espagnole, mais jamais avec une telle ampleur pour des motifs sanitaires », souligne Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble.

Dans un pays « en guerre » contre le Covid-19, nul ne remet en cause la nécessité de ces mesures, car « la première des libertés, c’est le droit à la vie », relève Jacky Coulon, secrétaire général de l’USM, le principal syndicat de magistrats. Mais de manière inédite, l’application de la loi touche l’ensemble de la population : « C’est sans commune mesure avec l’état d’urgence qui visait la lutte contre le terrorisme » et donc un nombre restreint de personnes, souligne le magistrat.

D’ores et déjà, la LDH s’interroge sur la « proportionnalité des sanctions » prévues, qui vont jusqu’à l’emprisonnement en cas de non-respect du confinement, et promet d’être vigilante face à « la tentation sécuritaire » qui conduirait à inscrire dans le droit commun des dispositions dérogatoires liberticides, indique son président Malik Salemkour, citant l’exemple de l’utilisation de drones de surveillance par plusieurs municipalités.
Une Banalisation de l’exceptionnel

« Cela va laisser des traces assez profondes sur ce que les pouvoirs publics peuvent faire en termes de contrôle des populations », redoute Serge Slama, soulignant que « c’est l’installation dans la durée qui est problématique ».

« La banalisation d’un état d’urgence fait qu’au bout d’un moment, les gens s’habituent aux atteintes aux libertés. C’est cela qui est dangereux », estime le chercheur. Une analyse partagée par Patrice Spinosi, avocat aux conseils d’État et Constitutionnel, qui observe « un net recul des libertés depuis l’état d’urgence de 2015 ».

« Le balancier entre liberté et sécurité est cassé. On n’a plus qu’un seul propos politique, celui visant à assurer la sécurité des Français, qui est globalement mesuré mais sur lequel on ne revient jamais », note-t-il.

Avant les attentats de 2015, l’état d’urgence avait été activé plusieurs fois, pendant la guerre d’Algérie ou en 2005 pour mettre fin aux émeutes dans les banlieues, mais n’avait jamais duré aussi longtemps : près de deux ans.

« Personne ne voyait le danger. Vous le voyez quand vous êtes un opposant politique empêché de manifester, un musulman assigné à résidence sans motif valable ou quand vous subissez une perquisition sur dénonciation. Sur la durée totale de l’état d’urgence, le taux de perquisitions qui ont abouti à des poursuites est de 5 % », affirme l’avocat.

Pour Malik Salemkour, l’état d’urgence contient en germe un « poison » pour l’État de droit, « c’est-à-dire la possibilité d’un pouvoir d’être contrôlé par un autre ». S’il n’y est pas opposé par principe, Serge Slama craint aussi que l’état d’urgence sanitaire « soit un laboratoire de ce que l’on vivra dans l’avenir avec le réchauffement climatique » et voit dans la vigilance de la société civile la « meilleure garantie » contre les abus.
« Une loi nécessaire » selon Marie-Laure Denis présidente de la Cnil

Dimanche, April 5, 2020 - 08:19

Pour la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, « les textes qui protègent les données personnelles ne s’opposent pas à la mise en œuvre de solutions de suivi numérique individualisé pour la protection de la santé publique, mais ils imposent de prévoir des garanties adaptées d’autant plus fortes que les technologies sont intrusives. Outre la question essentielle du caractère provisoire de l’utilisation de ce type de dispositif, il est aussi important qu’il repose sur le volontariat, sans conséquence pour la personne en cas de refus.

Si l’éventualité d’un dispositif obligatoire était envisagé, il serait nécessaire d’adopter un texte législatif pour mettre en œuvre ces dispositifs qui devraient en tout état de cause démontrer leur nécessité pour répondre à la crise sanitaire ainsi que leur proportionnalité ».