Retraites : après l’annonce du 49-3, un chemin pavé d’obstacles pour l’exécutif

lundi 2 mars 2020
par  SUD Éduc

GERARD JULIEN / AFP
D’après l’express, Édouard Philippe a dégainé le 49-3 pour faire adopter le texte sans vote à l’Assemblée nationale. Il doit encore franchir plusieurs obstacles avant son entrée en vigueur.

« Tout cela est loin d’être fini. » Le constat émane d’un député de la République en Marche. Le déclenchement par Édouard Philippe de l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter sans vote la réforme des retraites à l’Assemblée nationale n’est qu’une première étape. Le chemin est encore long et semé d’embûches pour le gouvernement, qui table sur une adoption définitive du texte avant l’été.

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La première haie est la moins haute. Deux motions de censure seront examinées mardi après les questions au gouvernement. La première est l’oeuvre du groupe LR, la deuxième vient de la gauche. Elles n’ont toutefois presque aucune chance d’être adoptées par la majorité des députés (289 voix) au regard du rapport de force à l’Assemblée. Dans ce vote, toute abstention sera en outre considérée comme favorable à l’exécutif.

Une fois l’obstacle franchi, l’exécutif va devoir combattre sur plusieurs fronts. Le premier est imminent. Selon une source gouvernementale, les députés devraient « a priori » examiner à partir de la semaine prochaine - mardi soir ou mercredi - le volet organique de la réforme, qui s’ajoute au projet de loi ordinaire : il porte sur la gouvernance du futur système de retraites, la valeur du point ou la règle d’or : cette dernière impose un équilibre financier sur cinq ans du nouveau régime universel.

Près de 2000 amendements ont été déposés sur ce projet de loi, qui ne compte que cinq articles. « On souhaiterait idéalement que le projet de loi organique soit voté d’ici le week-end prochain », confie à L’Express cette même source. Une pause parlementaire de quinze jours est en effet prévue à compter du 9 mars, à l’occasion des élections municipales.
« Nous ne lâcherons rien », promet Mélenchon

La tâche s’annonce ardue. « Nous ne lâcherons rien », a promis le chef de file LFI Jean-Luc Mélenchon. La bataille promet d’être féroce à l’Assemblée nationale, et LFI devrait jouer la carte de « l’obstruction ». « On avait fait le choix de ne pas sous-amender le projet de loi organique, indique à L’Express le député du Nord Ugo Bernalicis. Mais avec l’usage du 49-3, il serait sage finalement d’aller sous-amender le projet pour prendre la parole publiquement en séance et discuter du fond de la loi ordinaire, dont l’examen a cessé. On peut faire durer les débats jusqu’aux élections municipales. On sait faire. » « On ne leur fera pas de cadeaux », confirme son collègue Eric Coquerel.

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Dans la majorité, on ne se fait pas d’illusion sur la teneur des débats à venir. « On veut discuter sur le fond, mais ne soyons pas naïfs sur l’attitude de LFI après l’annonce du recours au 49-3 », admet la députée des Yvelines Marie Lebec. « On peut adopter le projet d’ici la fin de la semaine, mais les Insoumis ont les cartes en main, concède le député LREM Guillaume Gouffier-Cha. S’ils sont dans l’obstruction totale, ce sera plus compliqué. »

L’exécutif ne pourra en outre pas dégainer le 49-3 sur ce texte. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le gouvernement ne peut l’utiliser « que pour un seul texte par session parlementaire ». La cartouche a été grillée samedi. « On a toujours la possibilité d’empiéter sur la pause de quinze jours pendant les municipales pour débattre du texte », glisse une cadre de la majorité, néanmoins attachée à une adoption rapide de la loi organique.

Les deux textes sont enfin attendus en printemps au Sénat. En théorie, les membres de la Haute Assemblée devraient se pencher sur la réforme à compter du 20 avril. Le groupe socialiste a toutefois demandé un report au 4 mai pour attendre la fin des travaux de la conférence de financement, fin avril. En parallèle, le PS a demandé la constitution d’une commission d’enquête au Sénat sur la « sincérité » de l’étude d’impact" qui accompagne le projet de réforme des retraites, sur le modèle de celle ouverte par les socialistes à l’Assemblée.
Le Sénat au printemps

Les débats promettent d’être animés dans cette assemblée, ou LREM est minoritaire. Les sénateurs seront les premiers à se pencher sur la nouvelle copie gouvernementale, qui intègre des amendements de la majorité et de l’opposition. « On est décidé à avoir une politique offensive de résistance », assure à L’Express Marie-Noëlle Lienemann, membre du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste (CRCE). On devrait toutefois être loin des 40 000 amendements, souvent prétextes, déposés à l’Assemblée. « La culture du Sénat est différente », souffle l’ancienne socialiste.

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Le président du groupe PS Patrick Kanner anticipe, lui, entre 3000 et 4000 amendements sur le texte, dont « 700 à 800 » de son groupe. La droite, majoritaire, devrait elle mettre l’accent sur les questions de financement, à travers sa proposition de reculer l’âge légal de départ à 65 ans.

Au Sénat, le 49-3 n’existe pas. En cas d’obstruction, le gouvernement peut toutefois recourir à la procédure du « vote bloqué », en vertu de l’article 44-3 de la Constitution. A l’issue du passage au Sénat, la navette parlementaire se poursuivra en vue d’une adoption définitive avant l’été, dans le cadre de la procédure accélérée.
Saisine du Conseil constitutionnel

Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Car le Conseil constitutionnel devrait, en fin de course, se prononcer sur ce texte à l’élaboration chaotique. « Il y a aura un recours », confirme Patrick Kanner. Le parti Les Républicains est sur cette ligne. Dans son avis très critique publié en janvier, le Conseil d’État avait ainsi fustigé les « projections financières lacunaires » de l’étude d’impact et alerté sur le choix de recourir à 29 ordonnances.

Pour la juridiction administrative, ce choix « fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ».

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Autre grief : les députés ont fustigé le vote d’un article « garantissant » aux enseignants des « revalorisations salariales », qui devraient être formalisées dans « deux lois » de programmation à venir. Une mesure inconstitutionnelle, juge le député Génération.s. Régis Juanico, car c’est une « injonction faite au gouvernement pour déposer un projet de loi » de programmation. La bataille est loin d’être terminée.