WEB « TREPALIUM ».PREQUEL DU DESIR

Trouvé dans libé
dimanche 17 janvier 2016
par  SUD Éduc

Télévision et Web ne font pas forcément bon ménage. Pas encore. Un peu à la manière dont, un temps, le cinéma regardait la série télévisée avec condescendance. Si les chaînes ont réussi à faire d’Internet un nouveau moyen de distribution, elles ont trop tendance à l’utiliser comme un support marketing quand il s’agit d’accompagner un de leurs programmes phares.

Mais il y a des réussites. Comme ce qui a été imaginé en complément de la prochaine série ambitieuse d’Arte, Trepalium (1), qui sera diffusée mi-février. Cette œuvre d’anticipation en huit épisodes raconte un monde dans lequel les 20 % de personnes ayant encore la chance d’avoir un emploi imposent leur loi aux 80 % autres, dont la vie est reléguée derrière un mur infranchissable. Un mur physique mais aussi de préjugés. Un monde futuriste dans lesquels les hommes les plus libres ne sont pas forcément ceux qu’on croit. Futuriste ? Pas tant que ça. Les murs ne cessent déjà de s’élever un peu partout autour de nous et le plein-emploi est devenu une chimère.

Dérive.
Pour Trepalium, ce monde est un postulat de départ. Il revient au téléspectateur d’imaginer la trajectoire qui peut nous y amener. C’est dans cet interstice que se sont glissés Alexandre Brachet et Grégory Trowbridge, du studio web Upian, pour proposer en ligne A l’ombre du mur, un prequel réaliste - garanti sans spoiler - qui permet de faire le lien entre les deux époques. Et crée une entrée pertinente pour mieux appréhender l’univers rétrofuturiste de Trepalium.

C’est assez rare pour être signalé, leur projet en forme de journal de bord est particulièrement abouti, tant sur la réalisation que sur le fond. Tout repose sur des documents spécialement créés pour l’occasion - dessins, lettres, extraits de livres, sons… - qu’on consulte un à un et qui, mis bout à bout, constituent une plongée dans un monde à la dérive. « Nous trouvions intéressant de repartir du présent pour faire le lien avec ce futur, et, en partant, de ce qui se passe aujourd’hui, explique Grégory Trowbridge. Beaucoup de situations ou d’intentions politiques sont à peine détournées du réel. Comme nous sommes arrivés bien après le tournage, nous avons dû inventer notre propre univers à partir des éléments graphiques et sonores que la production nous a fournis. » C’est l’auteur de BD Thomas Cadène qui a imaginé ce dispositif.

Sarah Stern, une des actrices, belle révélation, s’est prêtée à une petite expérience : découvrir avec nous cette œuvre en ligne. Dans la version télé, elle joue une spécialiste en communication chargée de réécrire l’histoire à la convenance de deux leaders politiques - qui se trouvent être ses parents. Un rôle dur et strict pour lequel elle a puisé davantage dans le registre shakespearien que dans les œuvres complètes de Piketty. « Je me suis beaucoup inspiré du drame familial que raconte Trepalium, cette fille prête à tout pour réussir, une manière aussi d’exister aux yeux de ses parents, explique-t-elle. Nos personnages ont des masques, ils ne sont pas au fond ce qu’ils doivent refléter pour exister dans cette société. Je me suis plus nourri de cet univers familial que de ce qui se passe en toile de fond. »

« Forme d’intimité ».
Alors, que lui apporte cette version web ? « Ce qui a été fait me rappelle des cours de théâtre. On nous demandait de prendre un personnage de fiction et d’improviser ce qu’il pouvait faire à tel ou tel moment, comment il allait se comporter dans des situations réelles. Là, c’est un peu la même chose. J’aurais aimé voir ce prequel au moment du tournage, cela m’aurait aidé dans mon travail d’actrice. »

Et de confirmer que ce versant numérique appuie la toile de fond sociale de la série : « Ce sont deux histoires complémentaires. Le dessin apporte une forme d’intimité qui me parle beaucoup. L’ensemble est immersif, et cela répond bien aux aspirations du moment des spectateurs. En même temps, c’est une œuvre en soi qui sert et s’imbrique dans une histoire plus globale, ça nous ramène à notre présent et ça permet de saisir que nous ne sommes pas dans la science-fiction, mais dans l’anticipation. La société que décrit Trepalium peut se réaliser et la voir se matérialiser sous nos yeux relève pour moi de la fascination. » La jeune actrice confirme ainsi que la prochaine étape sera de réaliser les deux œuvres en même temps, afin que chaque univers puisse imprégner l’autre. Que cette irrigation créatrice ne se passe pas seulement dans un sens.