« Avril », fiction révolutionnaire ressemblant à Nuit debout

mercredi 20 avril 2016
par  SUD Éduc

Avril, de Jérémie Lefebvre. Buchet-Chastel, coll. Qui Vive, 136 pp., 13 €.

« Equité, solidarité, dignité. » Une nouvelle devise nationale pour une France dominée par un gouvernement anticapitaliste et révolutionnaire. En ce mois d’avril d’une année inconnue, les opprimés d’hier prennent leur revanche. A l’image de ce vieux monde qui s’écroule, elle est aussi impitoyable que violente. Les riches sont déplacés dans ce que l’on appelait autrefois « la banlieue » alors que les précaires, ou plutôt les « martyrs du peuple », investissent les beaux quartiers. Justice, politique, économie, mode, logement… Aucun secteur n’échappe à la révolution.

Voilà l’histoire de ce roman intitulé Avril, tout juste paru. Il n’aurait pas pu choisir un meilleur moment. Alors que Nuit debout attire des militants de toute la France, l’ouvrage de Jérémie Lefebvre se plonge dans une révolution anticapitaliste sans angélisme. Si la coïncidence est troublante, l’auteur insiste : « J’ai écrit ce livre il y a quatre ans, bien avant l’émergence du mouvement. » Il reconnaît cependant volontiers des concordances, notamment dans « cette urgence de tout remettre à plat ».

Pour décrire ce bouleversement, l’auteur alterne des extraits de dialogues de Français, révolutionnaires ou non, et des documents officiels. Le résultat, dit-il, est « une polyphonie chaotique qui vise à restituer le bouillonnement insaisissable du changement ». Pour dépeindre cette divergence de points de vue, l’écrivain de 43 ans s’est s’inspiré de discours entendus autour de lui, lui, l’ancien employé d’une entreprise « sans politique salariale où régnait le chaos néolibéral ». Son premier ouvrage, il l’a écrit après avoir formé un « syndicat virtuel » qui « avait réussi à faire un beau bordel dans la boîte ».

Comment s’organise cette révolution d’Avril ? En voici les principaux contours.
Logement : expulsions massives des nantis

C’est un point central de la révolution. Dans les quartiers défavorisés rebaptisés « villes martyres », les classes sociales privilégiées sont déplacées de force. La propriété privée, abolie. Les médias internationaux, américains en tête, évoquent des « déportations violentes ». Dans ces nouveaux ghettos, on retrouve des chefs d’entreprise, des avocats, des grandes fortunes… Tous sont rééduqués afin de mieux comprendre les souffrances des pauvres d’autrefois. Une réclamation ? Une ligne d’urgence est administrée par un ordinateur. Son message, toujours le même, ne répond jamais aux problèmes : « Vous n’avez pas encore réglé votre loyer. Suivez les indications sur le clavier pour effectuer votre paiement. » Une femme explique : « Sous la République, les gens tombaient sur ce genre de répondeurs fermés lorsqu’ils appelaient la CAF ou Pôle Emploi. Il n’y avait pas d’option : "Souhaitez-vous être mis en relation avec un agent pour payer ?" ou "Avez-vous des difficultés ?" »
Economie et agriculture : pesticides interdits

« Nous, représentants du peuple, décrétons que les produits agricoles destinés à la population ne pourront être vendus ailleurs que sur les marchés, par leur producteur. La nation veillera à ce que la valeur des produits de la terre ne fasse l’objet d’aucune spéculation. » Si l’euro est préservé, la France révolutionnaire ne laisse pas l’économie s’inviter dans tous les secteurs du pays. En gardant la mainmise sur ses exploitations agricoles, le gouvernement interdit l’utilisation de pesticides et empêche les multinationales de prendre un poids supérieur à celui de l’Etat. Les exploitations de plus de 1 000 hectares sont ainsi déclarées illégales. Les sociétés de grande distribution deviennent « des biens nationaux » et une valeur ajoutée est limitée sur l’ensemble des produits. Impossible cependant de savoir si ces réformes porteront leurs fruits dans la durée. En se concentrant strictement sur le processus révolutionnaire, l’ouvrage ne décrit qu’une courte période où le chaos est omniprésent.
Violence : l’humiliation est légion

Elle ne quitte aucune des 140 pages de l’ouvrage. Dans ce retour de bâton des citoyens contre leur oppresseur, pas de place pour la candeur. A l’image de ce chauffeur de voiture qui devient le geôlier de son patron, l’humiliation est légion : « Je suis le mec qui t’emmenait au bureau, à Matignon, à Deauville, dans les bars à putes, le mec à qui tu parlais comme à un chien tous les matins et tous les soirs… Et dont tu ne connaissais même pas le visage. » Dans le même temps, les Etats-Unis réfléchissent à une éventuelle intervention dans l’Hexagone pour supprimer la violence qui y règne. Le point culminant : le rétablissement de la peine de mort de façon temporaire pour une dizaine de figures symboliques du pouvoir. En tête de liste : la femme du président. En l’absence de son mari exilé à Stockholm, sa tête doit tomber, au sens propre comme au figuré.
Religion : une mosquée sur le Sacré-Cœur

Chez les révolutionnaires, on ne plaisante pas avec la laïcité. Dans un courrier adressé aux autorités religieuses, un responsable évoque ce principe républicain afin de transformer la basilique du Sacré-Cœur en mosquée. « Dans un état laïque, le catholicisme a-t-il une plus grande légitimité à culminer à 213 mètres au-dessus de Paris ? Non », peut-on lire dans Avril. « En faisant de la basilique une mosquée, on libérerait des milliers de musulmans de la tristesse des caves et des salles polyvalentes. » Si le projet est audacieux, il n’est pourtant rien comparé au principal chantier du gouvernement : « Créer un lieu de culte qui accueillera indifféremment les fidèles des trois religions ». Contrairement aux révolutions inspirées du communisme, les religions ne sont pas taboues. Au contraire, le gouvernement veille « à la fraternité entre les confessions ».
Médias : la presse people interdite

Sur la Seine flotte le corps du patron des programmes de TF1. Dans sa poche, une lettre d’un confrère : « L’urgence c’est de donner le change en attendant que ça se calme. Pourquoi tu fais le contraire ? » En période de révolution, l’heure n’est pas vraiment au pluralisme médiatique. Pour exercer leur travail, les journalistes s’exilent à l’étranger, pour laisser libre cours à leur colère : « Il n’y a pas de "mais" à l’horreur. Il faut avoir le courage politique de dire que rien d’humainement constructif ne naît de la barbarie », entend-on sur la radio suisse. Dans son désir de changer les mentalités, le gouvernement prend des mesures radicales à destination de la presse : « Nous, représentants du peuple, décrétons anticonventionnelle la presse de catégorie 5 dite "people" : actualité de luxe et des célébrités. » Comme le souvenir d’une époque révolue, le siège du groupe Prisma Media – qui publie notamment Voici, Femme actuelle et Gala – est réaménagé en « Mémorial de l’asservissement culturel de l’être humain ».
Solidarité : pacte générationnel et jouets sexistes prohibés

Au sortir d’un système où règne le chacun pour soi, se serrer les coudes est une priorité. Entre les générations d’abord, en obligeant les maisons de retraite à accueillir « au moins 20% d’étudiants et de jeunes travailleurs, tandis que les résidences universitaires accueilleront au moins 20 % des retraités valides de moins de 80 ans ». Entre les sexes aussi, en supprimant certaines discriminations : « Sont également interdits à la fabrication les jouets spécifiquement destinés à un sexe en opposition à l’autre tant qu’ils constituent une atteinte à la dignité humaine. » Et puisque c’est à la société entière de faire des efforts, « la rémunération mensuelle de tous les membres de l’appareil administratif public sera indexée sur le salaire moyen national ». Une société solidaire dans son combat anticapitaliste, où les propriétés immobilières (hôtel de Matignon, palais de l’Elysée, château de Rambouillet, etc.) sont « restituées au peuple et réhabilitées en logements ».
Pouvoir : une femme présidente

Si des comités du peuple contrôlent le pays le temps de la transition politique, le véritable pouvoir est entre les mains des milices de quartier. En cette période trouble, la rue leur appartient. Si leurs agissements sont parfois hors de contrôle, le gouvernement n’en demeure pas moins actif pour réformer le pays. A sa tête, la première femme de l’histoire présidente d’un gouvernement insurrectionnel : Christine Viel. Militante associative depuis toujours, le personnage est décrit comme calme et réfléchi. Consciente du symbole que représente la France anticapitaliste, elle ne cède pas aux conseils de ses proches réclamant plus de fermeté. « Aucun régime insurrectionnel ne peut tenir par la force militaire. Notre force c’est l’invention. Alors, occupons-nous de construire. »
Cyril Castelliti